
La Belle époque
Film à voir à la télévision cette semaine : La Belle époque, Dimanche 15 mai sur France 2.
Victor, un sexagénaire désabusé, voit sa vie bouleversée le jour où Antoine, un brillant entrepreneur, lui propose une attraction d’un genre nouveau: mélangeant artifices théâtraux et reconstitution historique, l’entreprise d’Antoine propose à ses clients de replonger dans l’époque de leur choix. Victor choisit alors de revivre la semaine la plus marquante de sa vie: celle où, 40 ans plus tôt, il rencontra le grand amour. Si la reconstitution qui lui est proposée le plonge en pleine nostalgie, elle n’est cependant pas entièrement fidèle à ses souvenirs, et il tombe peu à peu sous le charme de l’actrice interprétant sa femme plus jeune. Mais celle-ci entretient une relation complexe avec le metteur en scène des reconstitutions qui veut la modeler selon ses fantasmes de perfection. Présenté hors-compétition au Festival de Cannes 2019, La Belle époque évoque l’appel à la nostalgie d’un passé que l’on ne peut que glorifier en voyant les années passer, et le temps filer entre nos doigts. Victor n’est pas heureux dans son époque. Trop virtuelle, superficielle, à l’affût des nouvelles technologies quand il cherche l’authenticité, la simplicité, à rester dans un monde à l’image de celui dans lequel il a grandi. En plus, son couple bat de l’aile, lui devenant de moins en moins compatible avec une femme en quête de modernité, cherchant à rester dans le coup, quand Victor fait, à ses yeux, du surplace, ce qu’elle ne peut supporter. Alors que toute forme de communication entre eux et, de manière plus large, entre Victor et le monde, semble rompue, ce dernier se réfugie dans son passé et ses souvenirs. Ce passé, on le matérialise grâce à notre mémoire et à notre conscience. Dans La Belle Époque, tout est matérialisé grâce à des décors et des acteurs, c’est comme un film dont on est le héros. C’est l’une des premières bonnes idées du film, qui transpose le retour au passé dans une mise en scène oscillant entre le théâtre et le cinéma. En procédant ainsi, le film rend les souvenirs palpables, ils sont ancrés dans la réalité, mais ils sont aussi fantasmés, approximatifs et ils sont le fruit d’une mise en scène orchestrée par notre propre mémoire. En effet, à cause de l’altération naturelle à laquelle ils sont soumis, nos souvenirs sont toujours différents de la réalité de laquelle ils sont issus. Ainsi, Victor, retrouvant son passé et une forme de joie de vivre, peine à y croire, s’amuse à corriger cette version de son souvenir qui se déroule devant lui. Il se retrouve, et il y retrouve aussi Marianne. Une Marianne fidèle à celle qu’il aimait, dont il est tombé amoureux, et dont il s’éprend petit à petit. Mais n’est-il pas en train de tomber dans le piège du passéisme et de la nostalgie en s’enfermant dans ses souvenirs ? Car ce que ce film montre aussi, c’est que si le passé peut être un refuge, il ne doit pas devenir une prison. Et que s’il peut nous être réconfortant, il peut altérer notre propre réalité, et nous plonger dans une mélancolie parfois dangereuse. Sur ce point, La Belle Époque s’avère également très judicieux, croisant les intrigues et les destins, brouillant les pistes en rendant de plus en plus incertaine la frontière entre ce qui est réel et ce qui est mis en scène. L’équilibre est alors trouvé, pour faire du passé ce tremplin parfois nécessaire dans la compréhension du présent, et, surtout, pour rappeler que rien n’est immuable. Entre comédie et drame, laissant un goût amer, le film de Nicolas Bedos montre que chacun tente de retrouver les codes d’une époque, au cœur de laquelle se nichent nos plus beaux souvenirs. En évoquant la grande perplexité que ressentent beaucoup de spectateurs face au progrès et à l’évolution de notre société, le réalisateur témoigne d’une anxiété que ses acteurs sont chargés de retranscrire: l’agressivité pour Guillaume Canet, la passivité pour Daniel Auteuil, le cynisme pour Fanny Ardant…Chaque personnage réagit différemment face à une époque, et plus personnellement à une existence qu’il ne reconnaît pas et qui ne lui plaît plus. La Belle époque est un film populaire (au bon sens du terme) plein d’inventivité, d’émotion, de poésie et d’humour. Le scénario est brillant. Il allie une idée originale (une entreprise propose à ses clients de leur faire revivre grandeur nature, grâce à des comédiens et des décors de studio, leurs propres souvenirs ou des événements historiques marquants) à une trame universelle (la complexité des relations amoureuses, entre réalité et fantasmes), le tout avec une structure audacieuse de mises en abîme.
Philippe Cabrol