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Don Juan

En direct du Festival de Cannes : Don Juan de Serge Bozon

« La femme que j’aime m’a quittée, sans un mot. » La première phrase prononcée par Tahar Rahim, qui joue ici le personnage de Laurent, donne le ton. Le scénario du film est centré sur Laurent, abandonné le jour de son mariage. Le scénario est simple. Une femme abandonne un homme qui croit la voir ensuite partout, elle revient, ils se remettent ensemble et elle finit par l’abandonner définitivement.

Le film de Serge Bozon propose une relecture contemporaine du mythe de « Don Juan », créé par Molière il y a quatre siècles. Ici, le séducteur ne l’est plus. Il est triste et perdu, et croit voir celle qu’il aime à chaque coin de rue. « C’est un cauchemar, je la vois partout », poursuit-il. Toutes les femmes que Laurent croise ont le visage de Julie. Laurent va donc se jeter dans une quête effrénée. Mais comment séduire se demande-t-il ? La réponse sera claire : en chantant. Laurent est un acteur en train de répéter Don Juan. Mais jouer le rôle de Don Juan perturbe et hante Laurent, car il n’est pas le Don Juan de Molière. Ici, Don Juan n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, c’est un homme obsédé par une seule femme, celle qui l’ a abandonné. Le jour de son mariage, Laurent est pris en flagrant délit de regarder une autre femme par celle qu’il va épouser, Julie, qui est comédienne. La noce est annulée. Laurent, triste, déprimé, voit constamment le visage de Julie sur d’autres femmes. Notre héros est un pauvre type triste, banal, qui ne recherche pas la jouissance mais l’amour, il n’est pas un collectionneur de femmes, mais un amoureux rejeté par celle qu’il aime. Faisons référence au film de François Truffaut L’homme qui aimait les femmes, où nous découvrons au milieu du film que le désir du héros de séduire toutes les femmes cache le regret d’une seule.Le film nous propose idée d’un Don Juan inversé. Un Don Juan classique a des relations avec toutes les femmes et c’est là son triomphe. Au lieu de conquérir toutes les femmes, Laurent est abandonné dès le début et il sera encore abandonné à la fin, définitivement. Il se fait constamment rejeter par les femmes qu’il aborde en croyant ainsi reconnaître Julie. Le donjuanisme de Laurent tient uniquement dans son regard sur les femmes, sans trahison, sans tromperie. Tout se joue juste sur le regard. Normalement, un Don Juan est victorieux, cynique et manipulateur, là il est perdant, sincère et démuni. Serge Bozon propose avec ce Don Juan une figure non-victorieuse de la séduction. Le film nous interroge aussi sur la confiance amoureuse, sur l’abandon.

Philippe Cabrol

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