
El Buen patron
Analyse du film : El Buen patron de Fernando Leon de Aranoa
El Buen patron, représentant espagnol aux Oscars 2022, a remporté 6 récompenses à la cérémonie des Goyas, dont meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario original, meilleur acteur,…
Pour avoir une chance de gagner le prestigieux prix pour lequel il est en lice, Juan Blanco doit maintenir l’ordre dans son entreprise familiale de fabrication de balances. La semaine qui précède la remise des prix, il s’incruste dans la vie de son chef de production distrait, d’un ex-employé mécontent et de la nouvelle stagiaire irrésistible pour les empêcher de tout gâcher… Découpé jour par jour, rythmé par les notes en pizzicato d’un violon angoissant, le film accélère crescendo pour installer une ambiance dramatique qui nous embarque.
«Effort, équilibre, fidélité». Le slogan affiché sur les murs de son usine donne le ton. Blanco, le patron de l’entreprise qui porte son nom, règne en son domaine tel un maître incontesté, tout comme son père avant lui. «Une société qui fabrique plus de balances est une société plus juste» ne manque jamais de rappeler à ses interlocuteurs ce quinquagénaire espagnol qui veille à sa réputation de notable dévoué, toujours prêt à rendre service à ses employés. Ce patron, qui se montre tellement paternel en voulant arranger un à un les problèmes de son personnel, n’agit qu’à des fins personnelles : un patron paternaliste est un patron avant d’être un père. “Vos problèmes sont mes problèmes”, aime-t-il leur répéter.
Blanco, au fil des années et des succès, s’est imposé comme un notable dans sa province espagnole où il jouit d’une réputation enviable. Toujours prêt à rendre service à ses employés dans la difficulté, Blanco attend en retour de ces derniers un investissement de chaque instant. Mais ce patron qui se voudrait exemplaire enchaîne les compromissions.
Ce «bon patron» dirige son usine à l’ancienne, très paternaliste et acoquiné avec les pouvoirs locaux. C’est un homme cynique, et ignoble. «Au début vous comprenez sa façon de gérer, mais petit à petit il franchit des lignes rouges auxquelles il est difficile de souscrire et cela signifie qu’en tant que spectateur vous vous séparez de lui ou bien vous vous pouvez le suivre jusqu’ à la fin», a expliqué le réalisateur.
Dès les premières scènes, les dents grincent face au discours de ce patron charismatique et paternaliste Le patron parle «famille», des employés qui sont «ses enfants», mais à l’entrée de l’usine, dès le lundi, un oiseau se pose dans un des plateaux et fait pencher la balance qui orne le portail d’entrée. Tout un symbole des dérèglements contre lesquels va lutter avec sourire et une bonne dose de calcul et d’hypocrisie, mais un flegme presque toujours infaillible, cet homme que rien ne semble pouvoir abattre. Fernando León de Aranoa analyse les luttes de pouvoir internes de l’entreprise, dévoilant le monstre qui se cache derrière la façade de bienséance du patron.
En face de lui, il dispose ainsi des personnages aux intentions au départ louables, comprenant chacun progressivement leur intérêt à emprunter les mêmes voies et armes que celui qui les manipule. Se dressent ainsi sur son chemin vers le prix de la meilleure entreprise, un ancien employé qui a décidé de faire le piquet juste en face de l’entrée, un contremaître qui n’arrête pas de faire des erreurs, trop préoccupé par le fait que sa femme le trompe, et surtout une stagiaire très séduisante
Le récit s’appuie sur une écriture subtile et précise, il est construit avec des éléments dramatiques que le scénario traduit en comédie avec beaucoup d’humour et d’excellents dialogues démontant les mécanismes du néolibéralisme. On saute d’une intrigue à l’autre avec des scènes de plus en plus courtes et explosives, une musique plus rapide et une caméra à l’épaule qui suit tant bien que mal notre personnage principal.
Ce film nous montre un personnage d’une vérité impressionnante, pour une satire troublante.
Philippe Cabrol