Tueurs de dames
Tueurs de dames d’Alexander Mackendrick, Sur Arte, lundi 30 janvier à 20h50
« Être frivole sur un sujet frivole, c’est simplement ennuyeux ; être frivole sur un sujet mortellement sérieux, voilà le vrai comique ! ». Les comédies britanniques ont le don d’amuser les spectateurs, toujours friands d’humour décalé. « Très anglais, très digne, d’un flegme si fin que plus il y a de cadavres plus on s’amuse ». Voilà ce que l’on pourrait dire de Tueurs de dames
Comédie anglaise désopilante des années 50 mettant en scène une bande de malfrats se faisant passer pour des musiciens amateurs afin de commettre tranquillement un casse fumeux, Tueurs de dames est un pur produit britannique jouant constamment dans la finesse et les situations embarrassantes.
Imaginez une vieille dame anglaise, style Agatha Christie, un peu mythomane, qui vient régulièrement se plaindre à la police de vols imaginaires. Installez-la avec ses trois perroquets « tchatcheurs » dans une pittoresque petite maison biscornue surplombant des voies de chemin de fer. Ajoutez cinq musiciens, sobres et sérieux, qui viennent répéter chez elle inlassablement, chaque soir, un menuet de Boccherini…Comment pourrait-elle se douter, l’adorable, qu’elle abrite en fait de dangereux malfaiteurs, en pleine préparation du hold up du siècle ?
En effet, Mrs Margaret Wilberforce est une charmante vieille dame, gracieuse, digne, téméraire et « délicieusement inconsciente loue une chambre au distingué professeur Marcus pour que son quatuor puisse répéter. Mais Marcus est un imposteur : ses musiciens et lui ne sont qu’une bande de voleurs préparant un mauvais coup… Et quand ils se croient démasqués, les malfrats cherchent à se débarrasser de leur logeuse. Mais la vieille lady est coriace…
Tueurs de dames, sorti le 3 février 1956, est le premier film en couleur d’Alexander Mackendrick, célèbre réalisateur pour ses nombreuses comédies à succès. Plébiscité autant par la critique que par le public, ce cinquième long métrage du réalisateur se voit doublement auréolé lors de la cérémonie des BAFTA en 1956, du prix du meilleur scénario et celui de l’interprétation féminine.
Tueurs de dames est divisé en trois parties, très distinctes, chacune avec son humour propre. Le premier tiers du film en constitue l’exposition, d’autant plus que les malfrats discutent avec intensité de la sagesse d’inclure, ou non, la vieille dame dans leur plan. La deuxième partie s’inscrit en droite ligne dans la tradition du burlesque, avec une utilisation formidablement novatrice d’une cabine téléphonique. Mais c’est dans le troisième acte que se déploie toute la férocité d’Alexander Mackendrick : plongeant dans l’absurde complet, il se joue de sa maison des horreurs, comme de l’ambiance inquiétante. Les mouvements sont vifs, dynamiques : on y exploite chaque fenêtre, chaque porte, chaque couloir dans une relecture burlesque, « cartoonesque » du jeu de massacre.
Tueurs de dames reste le prototype du film de divertissement, loin des problèmes graves et des préoccupations politiques angoissantes. Ce film tourne le dos au réalisme. Il utilise toutes les possibilités du tournage en studio. Les personnages sont des stéréotypes, des symboles nostalgiques ou des caricatures. C’était le temps des scénarios bien ficelés, avec des situations permettant toute une gamme d’effets comiques classiques : le quiproquo, le gag, la répétition, le contrepoint musical, le mot d’auteur, la performance d’acteurs et la référence parodique. Dans ce style de comédie, Alexander Mackendrick ne s’embarrasse guère de psychologie dès la mise en place de ses personnages. Aucun d’eux n’évolue. Margaret reste la vieille dame attentionnée, candide et rigoriste qui parle aux gangsters comme à ses perroquets. Les gangsters se confondent avec leurs stéréotypes. Quant aux policiers, ils appartiennent à une mythologie démodée qui amuse les spectateurs aujourd’hui, surtout en Grande-Bretagne. C’est pourtant cette esthétique du superficiel et de la nostalgie qui fait tout le charme de cette comédie « réglée comme un mécanisme d’horlogerie ».
Tous les éléments sont réunis pour faire de cette histoire un film de suspense et d’horreur : inquiétants visages, mystérieuses voitures, attaque de camion blindé, pas dans la nuit, poursuite sur les toits, trains obsédants – et l’on ne cesse de rire. Avec Tueurs de dames, Mackendrick joue à fond l’humour noir, s’inspirant même du film de terreur où le suspense est maître. Le tout est arrosé de piment de plus haut comique
Tueurs de dames est considéré comme l’un des meilleurs exemples de comédie anglaise. C’est un chef-d’œuvre d’humour noir, une œuvre hilarante qui n’a pas pris une ride, un film qui joue brillamment sur le comique de situation et le burlesque de ses personnages.
Philippe Cabrol