Deux films d’Adilkhan Yerzhanov
Deux films d’Adilkhan Yerzhanov :
L’Education d’Ademoka
Jeune fille de 15 ans aux cheveux rouges, sans papier, vivant dans l’illégalité dans un campement au Kazakhstan avec sa famille mais venant du Tadjikistan et membre du peuple Lyuli, le destin d’Ademoka est en principe tout tracé : elle vivra de la mendicité, une mendicité qui se fait sous la coupe de mafieux sans scrupules. Toutefois, Ademoka a un objectif bien précis : poursuivre des études. Un objectif d’autant plus raisonnable qu’elle est très douée et qu’elle a un talent certain pour le dessin.
Primé lors du 38e festival cinématographique de Varsovie, avec ce 12e long-métrage du très prolifique Adilkhan Yerzhanov, le Kaurismaki kazakh, nous retrouvons tous les éléments qui font son style désormais reconnaissable : épuré, minimaliste, à l’humour décalé et aux personnages loufoques. Le film est très travaillé, l’image est belle offrant aux paysages désertiques et désolés du Kazakhstan un brin de poésie.
Nous assistons à une véritable odyssée homérique, dénonçant la situation des Lyuli en Asie Centrale, faisant l’éloge de l’égalité des chances, militant pour l’accès à l’art et plus particulièrement la littérature, dans un style burlesque et complètement surréaliste. L’éducation d’Ademoka est une ode à la liberté, à l’éducation, et à l’entraide humaine. C’est un film intelligent, plein de citations de Shakespeare, Gogol, Nabokov, ou encore Tchekov, Dante, et bien sûr, Melville. En passant par la critique du système éducatif et de l’avenir laissé aux jeunes générations par des autorités gangrénées, nous amène progressivement, comme les deux protagonistes, sur le terrain de ces livres chargés de leçons de vie permettant de défier la laideur du monde et ouvrant vers l’émancipation culturelle tant rêvée…
Assaut :
Quand bien même son film Ukkili kamshat avait été projeté en séance spéciale au Festival de Cannes 2014, ce n’est qu’en 2018 que le réalisateur kazakhstanais Adilkhan Yerzhanov, a gagné une réputation internationale avec son 5ème long métrage, La tendre indifférence du monde, présenté cette année- là dans la sélection Un Certain Regard. Agé de seulement 40 ans, Adilkhan Yerzhanov est un réalisateur très prolifique, il enchaîne les tournages signant plus de 14 films en moins de 10 ans
Assaut est son 14ème long métrage et, le 8ème en 4 ans. Assaut s’est vu décerner le Grand Prix et le Prix de la Critique au Festival international du film policier de Reims 2022
Adilkan Yerzghanov met en scène dans ce film des élèves d’un lycée, pris en otage par des inconnus armés et masqués. Apprenant que l’armée n’arrivera que dans deux jours car une tempête de neige fait rage, Tazshi, le professeur de mathématiques, prend la décision de partir à l’assaut avec son ex-femme, un policier du village, un vétéran d’Afghanistan, un alcoolique, un professeur d’EPS et le directeur de l’école…
Ne s’intéressant presque pas à ce qui se passe dès lors dans l’école, avec les terroristes d’un côté, une classe prisonnière de l’autre, Adilkhan Yerzhanov choisit de déplacer sa caméra au cœur de la steppe enneigée, un lieu où l’équipe menée par Tajchy va essayer de se transformer en une section d’assaut efficace : reconstitution dans la neige, « au centimètre près », de la « géographie » de l’école, minutage précis des actions, maniement des armes, …
On comprend vite que le réalisateur n’a aucunement l’intention de nous proposer un thriller pur et dur, même si, depuis le début du film un compte à rebours s’égrène grâce à des plans fixes. Il préfère insister avec humour sur le côté « Pieds nickelés » de ceux qui préparent cette attaque les hommes, par exemple, se montrant d’une grande médiocrité dans l’exercice du tir sur cible fixe, l’un d’entre eux s’écroulant de trouille à un moment critique, sans parler de ce choix de revêtir des peaux de moutons pour faire croire aux terroristes que c’est un troupeau de moutons qui s’introduit dans l’école. Comme toujours, Adilkhan Yerzhanov ne manque pas l’occasion de fustiger la corruption qui règne dans son pays ainsi que le caractère ubuesque de son administration.
Pour Assault, sélectionné au Festival international du film de Rotterdam, le regard de Yerzhanov se tourne une fois de plus vers des réalisateurs et des films bien connus Howard Hawks et John Carpenter, Rio Bravo et Assault on Precinct 13.
Assault avec son titre hommage au film de John Carpenter n’est pas le fruit du hasard. .
Une fois de plus, Yerzhanov manie différents registres dans le même film : comique, tragique, satirique et épique. C’est en partie ce qui fait le charme de ses œuvres. Ajoutons à cela une mise en scène précise qui alterne les plans larges de la steppe qui écrase ses personnages et les plans serrés qui auscultent la terreur et le désarroi de cette meute d’innocents. Adilkhan Yerzhanov reste fidèle à son cinéma décalé, loufoque et corrosif.
Philippe Cabrol