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Le Tableau volé

Analyse du film : Le Tableau volé de Pascal Bonitzer

sortie le 1 mai 2024 en salle | 1h 31min | Comédie dramatique

De Pascal Bonitzer | Par Pascal Bonitzer

Avec Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi

En 1914, Egon Schiele s’attaque aux « Tournesols » de Van Gogh. Il livrera un « remake » superbe et torturé, une toile mythique et secrète, vite emportée dans le maelström du XXe siècle et de ses guerres. On crut longtemps ces tournesols perdus. Et puis, un jour, les tournesols ont refleuri de façon improbable, dans un modeste salon de l’est de la France.

A partir de cette histoire vraie, Pascal Bonitzer construit une fiction fluide, élégante et intelligente. La trame est inspirée de la véritable réapparition des Tournesols de l’artiste autrichien, dans un appartement en viager de la banlieue de Mulhouse. La maison de vente fictionnelle Scottie’s est une référence à la véridique et prestigieuse Sotheby’s. Le pivot commissaire-priseur se nomme ici André Masson, homonymie du peintre français disparu. Et le titre du film est un clin d’œil au cinéaste Raoul Ruiz et à son Hypothèse du tableau volé.

André Masson, commissaire-priseur dans la célèbre maison de ventes Scottie’s, reçoit un jour un courrier selon lequel une toile d’Egon Schiele aurait été découverte à Mulhouse chez un jeune ouvrier. Très sceptique, il se rend sur place et doit se rendre à l’évidence : le tableau est authentique, un chef-d’œuvre disparu depuis 1939, spolié par les nazis. André voit dans cet événement le sommet de sa carrière, mais c’est aussi le début d’un combat qui pourrait la mettre en péril. Heureusement, il va être aidé par son ex-épouse et collègue Bertina, et par sa fantasque stagiaire Aurore…

L’introduction du Tableau volé constitue probablement la séquence la plus réussie du film, et la plus critique du milieu qu’il dépeint : André Masson expertise le tableau d’une veuve atteinte de cécité, pressée d’empocher l’argent de sa mise aux enchères prochaine. Alors qu’elle s’épanche en remarques odieuses, le commissaire-priseur fait bonne figure pour s’assurer que l’affaire se déroule sans accroc. Le marché de l’art apparaît ainsi sous son jour le plus vénal, où les facilitateurs doivent «tapiner», comme le dit André, pour des clients fortunés. Le personnage, sorte de rapace complaisant méprisé par sa hiérarchie et méprisant envers sa stagiaire Aurore, veille ainsi à toujours jouer un rôle à même de séduire celui qui l’emploie.

Le Tableau volé raconte aussi le choc des classes. La confrontation, bien qu’assez schématique, entre deux milieux sociaux aux antipodes ouvre un temps la piste la plus prometteuse du film. Aux citadins sophistiqués et cupides s’opposent Martin et sa mère, que l’on décrit comme «simples», sans connaissances de l’art et désintéressés.

Bonitzer décrit en quelques répliques vives la cruauté d’une caste de privilégiés. Derrière la façade respectable et les conversations policées, tous les coups y sont permis pour gagner de l’argent ou asseoir son pouvoir. Mais, pour la première fois dans son cinéma, le réalisateur confronte cet univers de nantis à celui des gens de peu.

Le monde de la vente d’objets d’art est décrit avec une mine d’informations fort précises et tout à fait passionnantes, et chaque personnage porte sa part de romanesque, de secret, de folie. Le récit est huilé, réglé et précis comme une horloge suisse, ménageant d’étonnantes surprises, une circulation de désirs à laquelle on ne s’attendait pas forcément.

De la spoliation à la réparation, le tableau devient l’enjeu d’une aventure qui confronte deux milieux sociaux, et dont tous les protagonistes, sans exception, sortiront transformés. La Shoah, la spoliation des familles juives pendant la Seconde Guerre mondiale, la collaboration de la police française, la filiation… C’est ce que raconte cette incroyable histoire de tableau volé puis retrouvé.

De cette histoire vraie, Pascal Bonitzer a tiré un film assez passionnant sur la marchandisation de l’art et les coulisses très théâtrales des salles des ventes, ainsi qu’une tragi comédie sur la spoliation des œuvres d’art avec en toile de fond invisible mais terrifiant, la Shoah.

Le cinéaste réussit à entremêler le léger et le grave dans une valse à plusieurs temps dans laquelle s’articulent des personnages qui voient leurs vies bouleversées par le jeu de rencontres inattendues et surprenantes.

Philippe Cabrol

#analysedefilm

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