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l’Affaire Nevenka

Analyse du film : L’Affaire Nevenka

Réalisation : Icíar Bollaín

Avec : Mireia Oriol, Urko Olazabal et Ricardo Gómez

Nationalité : Espagne ; Durée : 1h57 ; Genre : drame

Sortie : 6 novembre 2024

Des années avant l’apparition du mouvement #MeToo en 2001, Nevenka Fernández, une jeune conseillère municipale à Ponferrada (Espagne), a dénoncé le harcèlement de son supérieur, Ismael Álvarez, maire et figure importante du Parti populaire. Embauchée en 1999 pour ses compétences en économie, la jeune femme d’alors 25 ans est rapidement devenue la protégée de l’édile, avec lequel elle a entamé une relation de quelques mois. Lorsqu’elle y a mis un terme, l’élu, face au refus de ses avances, a commencé à la harceler, basculant vers une emprise psychologique, dans un milieu où le silence est imposé par le pouvoir en place.

En mars 2001, Nevenka Fernández a brisé l’omerta par un dépôt de plainte pour harcèlement et une déclaration publique, suscitant des réactions virulentes, notamment de certains membres du Parti Populaire qui ont dénoncé des accusations « excessives ». En réaction, Ismael Álvarez a mobilisé ses soutiens politiques et une grande partie de son électorat pour mener une campagne de décrédibilisation à l’encontre de son ancienne employée.

Inspiré de faits réels, L’Affaire Nevenka révèle le premier cas de #MeToo politique en Espagne, une affaire qui avait défrayé la chronique au début des années 2000 en Espagne opposant la jeune Nevenka Fernández à un puissant politicien avant que l’affaire #MeToo ne libère la parole des femmes.

Le scénario de la réalisatrice Icíar Bollaín et d’Isa Campo revient en détail sur l’histoire de cette jeune femme. L’affaire a fait grand bruit à l’époque, d’autant qu’elle a écorné l’image d’un homme apprécié localement. Ismael Alvarez est un puissant et charismatique homme politique très apprécié dans sa région ayant un réseau tentaculaire de personnes sur lesquelles il a de l’influence. L’histoire a eu un fort retentissement en Espagne puisque la condamnation d’Álvarez, en 2003, et sa démission étaient une première dans un pays encore marqué par un fort machisme. Or il s’en est finalement pas mal sorti avec le temps, alors que la jeune femme a été obligée de s’exiler en Angleterre pour pouvoir travailler et vivre normalement.

Autrice espagnole reconnue, Icíar Bollaín, a réalisé plusieurs thrillers réussis, teintés de sujets de société plus ou moins politiques, comme la privatisation de l’eau dans le très intéressant Même la pluie, la puissance des multinationales dans L’olivier, les violences conjugales dans Ne dis rien ou les rencontres entre victimes et terroristes de l’ETA dans Les repentis.

L’affaire Nevenka se construit ensuite en un flash- back, reconstitution des moments clés qui mèneront l’héroïne dans un état de destruction physique et psychique, le récit revenant ponctuellement aux préparatifs de l’accusation, pour mieux nous amener au procès final.

À l’écran, on voit Nevenka dépérir. Le regard de la jeune femme se fait hagard, fuyant : la caméra s’appesantit sur son attitude corporelle, sur ses mains qu’elle triture ou quand elle tente de disparaître au milieu d’une pièce. Elle se retrouve bientôt aux portes de la folie, persuadée qu’elle n’a aucune chance de convaincre les autres qu’elle est harcelée par son puissant ex-amant.

La réalisatrice espagnole illustre, par petites touches, les stratagèmes du maire, forcément manipulateur, mais surtout très conscient de l’emprise qu’il a sur sa victime.

Le film d’Icíar Bollaín d’une grande délicatesse, mais parfois glaçant, montre parfaitement les effets de l’emprise, du harcèlement, de l’isolement et de l’impact psychologique d’une telle situation. La cinéaste décompose la mécanique du pouvoir et de la violence patriarcale. C’est d’ailleurs pour retrouver sa propre identité que la jeune femme a intenté un procès retentissant.

Icíar Bollaín est réputée pour son cinéma engagé, La réalisatrice dissèque la mécanique du harcèlement moral et sexuel. L’agresseur broie littéralement sa victime dans d’incessantes remises en cause publiques auxquelles succèdent des supplications pour qu’elle reste dans son équipe. En même temps, la réalisatrice démontre combien une victime, malgré elle, peut devenir la complice d’un système destructeur pour elle-même et pour les autres.

Philippe Cabrol

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