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Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde

Analyse du film : TROIS KILOMÈTRES JUSQU’À LA FIN DU MONDE

Réalisé par Emanuel PÂRVU – Roumanie 2024 – 1h44mn

Avec : Bogdan Dumitrache, Ciprian Chiujdea, Laura Vasiliu.

Sorti en salle le 23 Octobre 2024

C’est à partir d’une actualité datant d’une dizaine d’année que Pârvu et sa coscénariste, Miruna Berescu, ont imaginé ce récit : la sombre histoire criminelle d’un viol d’une jeune fille par sept hommes dans un village perdu de Roumanie. La communauté entière s’était retournée contre elle. Mais ici les choses changent et passent par le prisme de l’homosexualité.

Un petit village niché au cœur du delta du Danube, à l’est de la Roumanie, littéralement, pour ses habitants, à trois kilomètres de la fin du monde. C’est l’été, la nature est magnifique et c’est la saison durant laquelle le village, auquel on ne peut accéder qu’en bateau, voit passer quelques touristes. C’est aussi la période durant laquelle reviennent dans leur famille les enfants du village partis poursuivre leurs études dans des villes universitaires de Roumanie. C’est le cas d’Adrian, 17 ans, qui est au lycée de la ville la plus proche du village. Ce qui aurait dû être pour lui un moment de félicité au sein de sa famille va tourner au drame et faire naître la zizanie au sein du village.

Le récit débute de nuit, par une ellipse : l’agression homophobe sans témoin dont est victime Adrian alors qu’il était en compagnie d’un touriste de son âge. Du tabassage lui-même, on ne voit rien. Nous découvrons comme les parents d’Adrian le lendemain matin, le visage tuméfié d’Adi qui ne laisse aucun doute sur la violence des coups portés. Il est victime d’une violente agression homophobe. Le découvrant dans sa chambre, son père se croit responsable et c’est avec une certaine culpabilité qu’il accompagne son fils au commissariat pour porter plainte. Mais Adrian se mure dans un silence buté. La personne qu’accuse le père, Zentov, est un notable du village, et les agresseurs présumés sont ses fils. Le policier veut enquêter de manière discrète et découvre peu à peu la véritable raison de cette agression. Les fils de Zentov ont « vu Adi embrasser un garçon » Les parents d’Adrian se murent dans le silence et s’en remettent au curé pour le « guérir ». Ils cachent mal leur malaise face à la révélation de l’homosexualité de leur fils tandis les notables de la ville ont toute autorité pour minimiser les actes des agresseurs . Quant aux représentants de l’Eglise, ils placent l’immoralité du côté de la victime. C’est une réaction en chaîne infernale qui se met progressivement en marche autour d’Adi, que d’ailleurs personne ne pense à écouter. Le seul soutien inconditionnel qu’il lui reste est celui de son amie d’enfance.

Dès que l’information de cet acte horrible est connue, c’est un nouveau film qui commence, dans une séquence qui va démontrer toutes les différences et tout le clientélisme qui anime cette communauté où la religion prend toute sa place dans la représentation du monde.

Avec Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, Emanuel Parvu s’inscrit dans la lignée de ce cinéma roumain où les drames intimes se heurtent aux imbroglios administratifs.

Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde dispose d’un scénario limpide et efficace, qui commence comme un conte rohmérien et dévie vers le drame oppressant à la Haneke. Chronique roumaine de l’homophobie ordinaire, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde tire sa puissance du contraste saisissant entre la beauté des images (le cadre, la photo) et la rigidité morale, dans lequel baigne la petite société, dans laquelle la libéralisation des mœurs, l’acceptation de l’autre n’existe pas. Emanuel Parvu filme ce paisible microcosme rural comme un jardin d’Eden perverti par la haine.

Le réalisateur démonte la cruauté d’une société aveugle, décrypte le fonctionnement hypocrite d’un état d’esprit archaïque. Dès le début, nous voulions avoir un endroit paradisiaque, et au sein de ce paradis, faire vivre en enfer un personnage. En fait, c’est une prison à l’intérieur de la prison qu’est la société » nous explique Emmanuel Pârvu. C’est évidemment une « prison métaphorique. La prison c’est la communauté, le village, une prison dans laquelle on doit forcément vivre.

Le réalisateur a aussi déclaré pour le site du Festival de Cannes, où son film a été présenté en compétition officielle : « Dans une petite communauté, vous avez différents archétypes. Vous avez l’Église, le docteur et la loi représentée par la police. Ce qui m’importait, c’était comment nous pouvons rassembler, synthétiser la société en ces quelques personnages. Par exemple, pour moi le Mal est une notion qui se discute uniquement dans un contexte religieux, c’est complètement dé corrélé de la vie où l’on n’a pas à vous imposer cette notion de Mal contre le Bien. Quand des agressions adviennent, comme dans le film, que faut-il penser, si on ne tient pas compte de ce que la religion, ou les autorités pourraient dire ? Comment faut-il intervenir ? ».

Philippe Cabrol

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