
When the light breaks
Analyse du film : WHEN THE LIGHT BREAKS
Une relation cachée, une mort soudaine, un deuil empêché : voici les maîtres mots du film de Rúnar Rúnarsson, When the Light Breaks.
Projeté en ouverture de la section Un certain regard au dernier Festival de Cannes, Prix de la Jeunesse au Festival du Film de Cabourg 2024 et Dragon Award pour le meilleur film nordique lors de la 48e édition du Göteborg Film Festival, ce long-métrage du réalisateur islandais traite de la mort avec une poésie et un réalisme captivants.
WHEN THE LIGHT BREAKS de Rúnar Rúnarsson, Islande,
Sortie le 19 février 2025,1h22
Avec : Elin Hall, Mikael Kabber, Katla Njálsdótti
Le film s’ouvre sur un coucher de soleil au bord de la mer. Nous découvrons sur la plage Una et Diddi. Tous deux sont étudiants en art à l’université de Reykjavík et membres d’un même groupe de musique. Ils s’aiment, mais se voient en cachette, car lui est en couple avec Klara. Ils veulent pouvoir vivre leur amour «au grand jour». Le lendemain, au petit matin lorsqu’ Una se réveille, Diddi est déjà parti, devant prendre un vol très tôt. Alors qu’elle retourne en classe, aux informations, est annoncée une explosion dans un tunnel, devenant peu à peu un drame national du fait du nombre de morts. Les probabilités que Diddi fasse partie des victimes augmentent à mesure que les secours réunissent des indices quant à la présence de son véhicule sur les lieux du drame. Le jeune homme meurt brutalement dans un accident de voiture. Alors que tout le cercle d’amis de Diddi compatit avec Klara, Una doit vivre son deuil seule, en cachette, en silence et son bonheur vole en éclat.
Face à cette mort, les amis du jeune homme, ainsi que Klara, se réunissent pour se soutenir mutuellement, formant une communauté d’affects qu’Una ne parvient toutefois pas à intégrer : personne ne connaissait sa véritable relation avec Diddi. Elle rencontre la quasi-totalité de ces jeunes gens pour la première fois ce jour-là. Ils sont au seuil de l’âge adulte. C’est le début de l’été, quand le soleil descend longuement sur l’horizon. La lumière représente la promesse de leur vie. Elle reflète leur âge et l’avenir qui s’étend devant eux. Mais malheureusement ils sont réunis pour un deuil.
Avec une énergie porteuse d’espoir, Rúnar Rúnarsson rend son film lumineux malgré la tragédie qu’il relate. When the light breaks s’inscrit dans une temporalité resserrée, entre deux couchers de soleil. En se concentrant sur une seule journée, le film rend sensible le passage du temps. La lumière, très présente et extraordinaire dans ce long métrage, est présente dans le titre.
En effet, dans ce film, tout est affaire de lumière. La lumière illumine, s’allège, s’estompe, les visages éclairés par la lumière intérieure des jeunes gens sont resplendissants. La «réfraction de la lumière» se dit «Ljósbrot» en islandais, titre original de ce film. Ce phénomène se révèle dans plusieurs scènes: la lumière lors de l’explosion, les plans à l’intérieur de l’église où circule la lumière divine, le reflet du soleil sur la mer.
Ce long-métrage est une plongée vertigineuse dans la vie de jeunes étudiants bouleversée par la mort tragique de leur ami. Tous les amis de Diddi se retrouvent à l’hôpital, à tournoyer, à s’enlacer, à se rassurer. Le cinéaste observe un tissu social essentiel, une solidarité dans l’adversité. Rúnarsson s’intéresse aux gestes et aux mots de soutien, à la solidarité qui se met en place dans le groupe d’amis. Mais il saisit également le malaise qui fait qu’Una se tient à distance.
Ce récit laisse peu de place aux dialogues. Si les personnages partagent des moments, des souvenirs, des anecdotes, ils ne parlent que très peu de ce qu’ils ressentent. La beauté du film réside dans ce vide, dans ce silence qui se reflète dans les visages. C’est dans le silence que se jouent les émotions de la manière la plus pure et la plus sincère. Le regard d’Una exprime tout: son secret, ses non-dits, son chagrin, sa détresse. Elle semble perdue et à la marge des événements.
Le réalisateur adopte le point de vue d’Una. Pour la jeune femme, le lâcher prise intervient curieusement par l’entremise de Klara. L’une est dans l’exposition de son chagrin, l’autre dans la retenue. Elles s’apprivoisent peu à peu. Leur rivalité se désamorce, à mesure que les deux femmes se rapprochent, reliées secrètement par l’amour du même homme. Elles se retrouvent dans leur peine se rendant compte qu’elles ont partagé ce qu’il y a de plus précieux au monde : les derniers sentiments d’un être solaire, juste avant que la lumière ne s’éteigne. Le deuil est ici conçu comme un passage de l’amertume vers l’apaisement. Una et Klara retrouvent ensemble les lumières du tunnel qui ont accompagné Diddi vers son destin et celles qui les réunit devant les reflets du soleil sur la mer.
Les thématiques de When The Light Breaks bouleversent par leur universalité: le passage à l’âge adulte, la perte d’un ami ou d’un amoureux, le pardon, l’amour, l’amitié, la bienveillance, l’empathie. Le film fait coexister la beauté et le chagrin, la douleur et la poésie.
La mise en scène est minimaliste et intimiste. Nous ne pouvons qu’être subjugués par la maîtrise visuelle de l’œuvre et par le travail minutieux sur la lumière. Rúnar Rúnarsson filme pratiquement toute la durée du film en gros plan. Nous sommes ainsi au plus près des personnages et surtout d’Una. When The Light Breaks est presque essentiellement filmé en plans fixes très serrés ou avec des travellings très précis, certaines scènes avec une caméra à l’épaule.
Deux plans, au début et à la fin se répondent. Celui du début commence sur un long plan en contre-plongée laissant défiler les lumières du tunnel jusqu’ à l’explosion de ce dernier. Celui de la fin, par un long plan en plongée, laisse défiler la mer et son coucher de soleil. Le début marque la fin, qui elle marque une renaissance.
Avec When the light breaks, Rúnar Rúnarsson souhaitait faire face aux émotions ressenties lorsqu’il a perdu un ami dans sa jeunesse. Suite à un deuil plus récent, le réalisateur a désiré en tirer un récit universel englobant les sentiments complexes éprouvés lors de la perte brutale d’un être cher.
Philippe Cabrol
#analysesdefilms