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Dimanches

Analyse du film : DIMANCHES qui sort au cinéma Mercredi 16 Avril 2025

Dimanches (Yakshanba) premier long-métrage de Shokir Kholikov est une magnifique découverte filmique d’un pays très peu connu du cinéma mondial, l’Ouzbékistan.

Dans un mélange de délicatesse et de malice, où les gestes sont plus explicites que les mots, nous découvrons la vie d’un vieux couple qui comprend que son temps est passé.

DIMANCHES de Ouzbékistan, 2023, 1h37.

Avec : Abdurakhmon Yusufaliyev Roza Piyazova Nasrullo Nurov Rano Sharipova

Dimanches se déroule sur sept jours en sept semaines et en huit chapitres qui mettent en scène l’arrivée d’un nouvel objet ainsi que les difficultés d’adaptation qu’en subissent les protagonistes. Le premier chapitre commence un dimanche d’été, le second a lieu le lundi de la semaine suivante, le troisième le mardi de la semaine suivante…et ainsi de suite jusqu’au dimanche final, en hiver.

Le film commence par un long silence qui accompagne les gestes d’un couple âgé. L’homme, par un geste, commande à sa femme de se lever pour changer la chaine de la TV. Elle s’exécute sans rechigner. Ce silence apparait comme celui de la compréhension et de la routine instaurée par ce couple qui vit dans une ferme entourée d’une nature sauvage et coupée du reste du monde.

Ce couple de paysans vit tranquillement dans un petit village de la campagne ouzbèke, où il travaille la laine. Tous deux ont un mode de vie intemporel : tondre les moutons, traire les chèvres, cultiver les pastèques et tisser des tapis. Le vieil homme est obstiné, égoïste, autoritaire, souvent mutique et cède rarement aux gestes d’affection de son épouse. Quant à elle, elle est conciliante et soumise aux valeurs traditionnelles du patriarcat.

Peu à peu, leur existence est bouleversée par les sollicitations de leurs deux fils qui insistent pour faire pénétrer la technologie chez eux malgré leurs réticences. Ce vieux couple voit ses habitudes bouleversées. Ces technologies remplacent leurs vieux postes de télévision, téléphones, réfrigérateur, voiture. Mais surtout, les deux fils veulent démolir la vieille maison, que leurs parents habitent, pour en construire une nouvelle, afin que le plus jeune fils, ayant travaillé à l’étranger et réussi professionnellement, puisse en faire sa résidence secondaire.

Les objets d’hier sont peu à peu remplacés par des nouveaux plus modernes, que le couple a du mal à faire fonctionner et dont il n’a pas besoin. Certes, nous assistons à des scènes réussies avec les objets technologiques : le vieux paysan qui s’acharne sur la nouvelle télécommande, le nouveau frigidaire qui ne fait pas de bruit et cela inquiète la vieille dame, le briquet avec lequel on se brûle, la carte de crédit, « carte en plastique », sans le code de sécurité. Ensembles, ils font face à ces nouvelles situations et essaient de s’adapter à leur nouveau mode de vie. Ces épreuves permettent au cinéaste de montrer la pureté du sentiment amoureux qui anime ce vieux couple et ainsi de nous conter une belle histoire d’amour.

Les enfants du couple, vivant à la ville, et bien équipés en nouvelles technologies, représentent la rupture intergénérationnelle avec leurs parents. Depuis 2022, l’Ouzbékistan mène différentes réformes en vue de libéraliser son économie. Le secteur des technologies est l’un de ceux qui se développent le plus rapidement. Ce choix, qui se justifie, est commandé par un Etat qui cherche à moderniser le pays quoiqu’il en coûte. Cet Etat, sans qu’aucune critique directe ne lui soit portée dans le film, se manifeste indirectement par le prisme des enfants.

Tourné en plans séquences le film a un rythme lent et les scènes ont tendance à se répéter se d’une journée à l’autre. Ce long-métrage repose sur un huis clos en plein air, la caméra ne quitte pas la ferme du couple. Le cinéaste prend le temps de montrer les moments consacrés au travail, notamment celui de la laine, des repas, du partage du thé : ce sont des scènes filmées qui font penser à un rituel et à des coutumes. Nous découvrons des gestes ancestraux, nobles, habiles, remplis de sens et pleins d’humanité. En effet, Dimanches décrit plus la vieillesse, la complicité, la distance au monde de ce vieux couple que l’irruption du modernisme.

Dans ce long-métrage, nous n’entendons pas de musique, mais le bêlement des moutons, le bruit du vent, de la pluie et des moments de silence qui créent une dimension contemplative envoutante.

Avec ce premier film, le jeune cinéaste ouzbek Shokir Kholikov, âgé d’une trentaine d’années, nous offre une œuvre d’une maîtrise époustouflante et d’une beauté poignante. Pensons au dernier plan magnifique montrant le vieil homme sous la neige qui s’éloigne de la maison.

Dimanches rappelle qu’il n’y a pas d’âge pour l’apprentissage de la tendresse et pour assumer sa vulnérabilité. La caméra du réalisateur parvient à traduire d’infimes mouvements de l’âme à travers des gestes élémentaires.

Dimanches a été primé au Festival international des cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul en France dans la catégorie « Prix du public pour un film de fiction » et a également reçu le prix de la critique. Il a été en compétition de la 20e édition du Festival International du Film d’Éducation d’Évreux du 3 au 7 décembre 2024.

Philippe Cabrol

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https://www.youtube.com/watch?v=9e6RWTo621w

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