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Loveable

Analyse du film : LOVEABLE

La réalisatrice norvégienne Lilja Ingolfsdottir choisit pour son premier long-métrage de dresser le portrait psychologique d’une femme dans la quarantaine capable de chercher sa part d’ombre et de regarder sa peine pour la transformer.

Loveable  explore les complexités de la maternité, des relations familiales et de la quête d’identité.

LOVEABLE de Lila Ingolfsdottir, Norvège, 2024, 1h43 mn.

Sortie en France le 18 juin 2025

Avec : Marte Magnusdotter Solem, Helga Guren, Oddgeir Thune.

Après un premier mariage, Maria semble trouver l’homme idéal en la personne de Sigmund, célibataire. Elle le séduit. Ils se mettent en couple, c’est une passion fusionnelle. Maria tombe enceinte. Sept ans plus tard, Maria jongle entre ses quatre enfants et une carrière exigeante. Elle connaît une surcharge psychologique pendant que Sigmund privilégie son travail et multiplie ses absences professionnelles. Un jour qu’il revient après six semaines d’absence, Maria craque et se plaint de sa charge mentale.

La scène d’ouverture nous présente l’image idéalisée d’un couple au début de son histoire d’amour. Mais bientôt la personnalité de chacun se révèle. La belle harmonie vole en éclats. À qui la faute ? Comment trouver une personne “aimable” sur la durée, quelqu’un qui vous permette de vous épanouir ? Visiblement, Maria n’y parvient pas.

Maria est fatiguée, elle perd patience et se met en colère. Que faire entre un ex-mari démissionnaire, un jeune fils très énergique et une adolescente rebelle ? Ses accès de colère, symboles de sa frustration permanente, lui sont reprochés, tandis que Sigmund a pourtant le sentiment d’être celui qui étouffe. La colère sourde de Maria va devenir bruyante et agressive. Le mutisme que lui oppose Sigmund est caractéristique de l’impasse dans lequel se retrouve le couple. Les disputes conjugales se succèdent, avec des mots très durs lancés d’un côté comme de l’autre. Suite à une énième dispute, lors de laquelle Maria manifeste une hostilité un peu disproportionnée, son mari lui annonce son désir de divorcer et Maria se retrouve confrontée à un bouleversement profond qui la pousse à entamer un voyage introspectif. Sigmund lui conseille de s’inscrire à un atelier pour apprendre à gérer sa colère.

Pour quelles raisons Maria laisse-t-elle libre cours à son ressentiment, comme la colère, la rancune, la tristesse ? Pourquoi Maria est-elle autant et aussi souvent en colère ? A qui en veut elle ? Après une première partie où l’on tend la chanson Ne me quitte pas, le récit se concentre autour de Maria, narratrice de sa propre histoire, qui entame une réévaluation de son passé pour nous conduire vers une introspection de plus en plus fouillée. Petit à petit, Maria entame un dialogue avec elle-même.

Dans son film, Lilja Ingolfsdottir verbalise des névroses. De séances de thérapie en règlements de comptes familiaux, le film oblige Maria « à aller jusqu’au bout » pour faire face à ses propres contradictions, à sa rancœur accumulée et à sa peur de l’abandon, tout en tentant de redéfinir son identité. Maria va donc trouver du temps et des mots pour dire, afin de vraiment commencer à vivre pour elle, avec les autres mais sans cette culpabilité de ne pas être à la hauteur qui l’emprisonne. Dans cette introspection qu’elle entreprend sur le passé de son couple, elle revoit certaines scènes avec un œil nouveau, avec de nouveaux dialogues.

Si la réalisatrice dépeint l’érosion accélérée d’un couple malmené par les frustrations, les promesses non tenues et le poids du quotidien, elle dénonce aussi l’ inégalité persistante entre les hommes et les femmes, femmes encore et toujours seules responsables de l’organisation familiale. Pourtant la Norvège est en pointe sur la question de l’égalité femmes-hommes au travail. Mais on devine que la charge mentale constitue une thématique centrale dans le travail de la cinéaste.

Sont aussi analysées les difficultés de communication entre les membres de la famille, notamment pour Maria dans sa relation avec sa fille aînée et sa mère. La relation de Maria avec sa propre mère révèle des schémas intergénérationnels de comportement et d’incommunicabilité. En se confrontant à ces modèles, Maria cherche à façonner son identité propre, libérée des attentes familiales et sociétales. Sa prise de conscience lui permettra d’éviter de reproduire le même schéma avec sa propre fille, acceptant finalement ses reproches et sa rancoeur et, ainsi, sa propre imperfection.

Lilja Ingolfsdottir adopte une approche réaliste et nuancée tant au niveau de la narration, savamment construite, de l’utilisation de la musique, de l’interprétation de l’actrice principale, et de cette exploration des relations humaines et de la quête de soi.

Loveable est une comédie dramatique de la rupture et le portrait  d’une femme à la dérive par des Scènes de vie domestique, Scènes de vie conjugale. Quelque part entre Joachim Trier et Ingmar Bergman, notamment Scènes de la vie conjugale, lors des séaces de thérapie et la séquence entre Maria et sa mère, la réalisatrice Lilja Ingolfsdottir signe une œuvre implacable, un drame introspectif et poignant

Au-delà de la situation de Maria, ce film propose une exploration psychologique à travers le prisme d’une famille au bord de l’éclatement. Ce cadre permet de mettre en lumière à la fois les causes et les conséquences d’une telle crise. C’est plus que l’histoire d’un couple, c’est celle d’une famille. Loveable est un film touchant sur l’amour, sur la peur de l’abandon et aussi le désir de se reconstruire.

Si loveable peut se traduire par aimable, le titre en norvégien : Elskling se traduit lui par amour. C’est bien Maria qu’on accompagne dans le film, il devient vite évident qu’elle n’est peut-être pas une femme incontestablement « aimable » comme le suggère le titre du film.

Notons que les deux personnages principaux Maria et Sigmund ont des prénoms qui évoquent un « écho symbolique », l’un celui de la mère et l’autre celui du célèbre psychanalyste, le père de l’étude de l’inconscient. Cette opposition n’a rien d’anodin. Maria porte en elle le poids de la transmission, du soin, du sacrifice. Sigmund, lui, convoque l’analyse, le refoulement, la rupture froide. En choisissant ces prénoms, volontairement ou non, le film tisse un inconscient collectif et fait penser à une lecture psychanalytique.

Loveable a reçu de nombreux  prix notamment en 2024 au  Festival International du film de Karlovy Vary (Tchéquie) : prix d’interprétation féminine,  prix spécial du jury et le prix  du jury œcuménique. Au festival de cinéma de Miskolc (Hongrie) en 2024 Loveable où il a obtenu le prix du jury œcuménique.

Voici le commentaire des membres du jury œcuménique du festival de Miskolc (Pál Gerlai, Hongrie, Jacqueline Barbaccia, France, Philippe Cabrol, France et Balázs Szövényi-Lux, Hongrie) qui ont décerné leur prix à : ELSKLING / ADORABLE 

« Ce drame familial commence comme un enchantement, mais quelques années plus tard, la famille se fissure peu à peu et la mère, Maria, par qui arrivent les problèmes, ne comprend pas pourquoi. Elle se heurte à son mari, ses enfants et sa mère. Tout le monde est coupable.

Nous la suivons dans un chemin douloureux depuis sa culpabilité et ses peurs jusqu’à sa tentative de connaissance de soi et la réalisation de schémas inconscients en elle-même. C’est après un long cheminement personnel et l’aide d’un psychologue que la résilience arrive et qu’elle découvre la possibilité de la foi, de l’espérance et de l’amour dans sa vie. Elskling aborde également les thèmes de l’égalité et de la féminité.

La narration fragmentée du film est en parfaite harmonie avec ses thèmes. L’utilisation ludique du montage et la narration non linéaire en font non seulement une étude humaine approfondie, mais aussi une pièce remarquable du cinéma contemporain ».

Philippe Cabrol

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