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Des feux dans la plaine

Analyse du film : DES FEUX DANS LA PLAINE

Des feux dans la plaine a été présenté dans plusieurs festivals internationaux dont Saint-Sébastien. C’est quatre ans aprés sa première projection, qu’il sort sur les écrans français. Il a été projeté au Festival de Cannes 2025 dans la section La quinzaine des cinéastes.

Premier film réalisé par Zhang Ji, Des feux dans la plaine est un polar social ambitieux, noir et insolite, qui propose une vision plutôt sombre de l’évolution de la société chinoise.

DES FEUX DANS LA PLAINE de Zhang Ji, Chine, sortie en france le 9 juillet 2025, 1h41.

Avec : Lü Yulai, Ting Mei, Zhou Dongyu, Liu Haoran, Yuan Hong

Ji Zhang désirait que son premier long-métrage soit l’adaptation du roman Moïse dans la plaine de Shuang Xuetao. Le réalisateur avait été attiré par le thème principal de cette œuvre : le bouleversement des destins provoqués par les mutations sociales et économiques. Il avait écrit : « Dans la Chine d’aujourd’hui, au fil d’un développement économique rapide et brutal, les différences entre territoires se sont approfondies, l’inégalité entre riches et pauvres s’est creusée, et plus grave encore, l’individu a perdu ses repères spirituels et moraux. » Cinq années ont été nécessaires pour mener ce projet à terme, avec le soutien de l’auteur du roman.  Soulignons que le titre original du roman Moïse est une figure biblique forte. Ji Zhang a fait le choix dans le titre de son film du symbole du feu évoquant la destruction et la lumière, la perte et l’espérance en lien avec ses deux héros.

Le roman traverse plusieurs décennies d’histoire chinoise, en brassant trois générations. Zhang Ji a réorganisé le roman pour son film. Il était surtout intéressé par la partie qui concerne la Révolution culturelle. Il a donc simplifié l’histoire et centré son long-métrage sur deux personnages : Li Fei et Zhuang Shu.

L’action de Des feux dans la plaine se déroule dans la ville fictive mais réaliste de Fentun, dans le Nord-Est industriel de la Chine, une région marquée par le déclin post-soviétique. Fentun avait été autrefois le prospère Eldorado industriel et agricole de la Chine. Aujourd’hui c’est une ville, où le temps a délité l’espoir.

L’action débute en 1997 pour se poursuivre en 2005. Entre ces deux périodes, un vide existentiel. Le récit évolue donc sur deux temporalités : celle de l’enquête criminelle et celle plus profonde de la quête de sens.

1997. Un tsunami économique déboule en Chine. Dans ce marasme, un insaisissable assassin étrangle méthodiquement des chauffeurs de taxi, qu’on retrouve carbonisés dans leurs voitures incendiées. Jiang enquête sur cette série de meurtres et se fait aider par le jeune Zhang Shu. Zhang Shu et sa voisine Fei se rapprochent et semblent vivre le début d’une idylle. Mais leur amour va être contrarié par le désir de la jeune fille de quitter leur ville.

2005. Si les meurtres ont cessé, le tueur n’a pas été arrêté. Le dossier est rouvert à la demande de Zhang Shu devenu policier. Pour ce jeune et idéaliste inspecteur, être enquêteur c’est défendre la justice et protéger les honnêtes citoyens. Quant à Li Fei, elle habite toujours Fentun , mais elle est à la dérive. L’affaire du meurtre les rapproche.

Le film s’inscrit dans un contexte de profondes mutations économiques et sociales, consécutives à la Réforme et l’ouverture du pays sur l’extérieur, initiée dans les années 1980. Ce tournant économique a entraîné la fermeture massive des entreprises d’État, creusant les inégalités et provoquant un effondrement moral et spirituel dans les classes populaires autrefois soutenues par le régime socialiste.

Or le Nord-est (le Dongbei), « Fils aîné de la République Populaire », représentait quelque chose comme la vitrine du socialisme triomphant. L’ adaptation vers une économie de marché et l’avènement d’un capitalisme d’État propulsent le pays aux premiers rangs des puissances économiques mondiales, dévastant tout un pan de l’ économie chinoise et de ses territoires.

Dans la première partie Ji Zhang tisse, à travers ses personnages le portrait de fin de siècle d’une société corrompue, dans laquelle le modèle parental est éclaté, la jeunesse perdue et l’horizon fort assombri. Avec l’ ellipse de huit ans, la séquence « pivot » libère toute la tension accumulée, et se conclut, en lieu et place d’un feu de joie, par une explosion de violence.

Zhang Ji s’intéresse plus à la société chinoise et à son évolution plutôt qu’à son intrigue.

Le réalisateur interroge la perte des repères, la mémoire des blessures sociales, ainsi que la quête éperdue de sens dans un monde en décomposition. Au cœur de cette fresque : un amour à contre-courant, deux âmes égarées dans une ville où la justice s’efface et les souvenirs s’effondrent.

En deux époques et deux Chine, ce film s’inscrit dans le renouveau du cinéma chinois. Des feux dans la plaine est un long-métrage intimiste, politique, mélancolique et désenchanté sur la Chine post-industrielle. La réalité y est de plus en plus sombre : chômage, drogue, suicides, misère affective, précarité et criminalité,…

Dans ce film, qui dévoile un monde où tout s’effrite, l’amour n’apparaîtrait-il pas comme seul remède pour les deux héros dont l’histoire est marquée par l’asymétrie des parcours, par l’écart entre volonté et condition sociale ? Mais cet amour, comme les feux dans la plaine, semble voué à disparaître. Entre la tendresse et le renoncement, Li Fei et Zhuang Shu s’aiment sans pouvoir se sauver l’un l’autre.

Zhang Ji souhaitait, par cette histoire, redonner un visage aux oubliés, et transmettre le souffle de ceux qui, malgré tout, cherchent encore à croire. Il a fort bien réussi.

Philippe Cabrol

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