
Bruno Reidal, confession d’un meurtrier
Analyse du film : Bruno Reidal, confession d’un meurtrier.
Réalisateur : Vincent Le Port ; Nationalité : France
Distribution : Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent, Roamn Villedieu
Durée : 1h41 ; Sortie en salle : 23 mars 2022
Vincent Le Port a présenté à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2021 un premier film impressionnant Bruno Reidal, confession d’un meurtrier, sur les mémoires d’un jeune paysan du Cantal ayant commis un meurtre atroce au début du XXe siècle. L’atrocité du crime, l’âge du criminel, et son mutisme impressionnent et font grand bruit dans les journaux en raison de la personnalité du criminel et de la période, la France est en pleine séparation de l’Eglise et de l’Etat. Vincent Le Port est fidèle au journal intime tenu par Bruno Reidal et pose dans son film des questions essentielles comme celle de la frontière entre normalité et folie, la lutte contre le mal, la place de la religion. Le film débute par une scène d’une violence inouïe : le meurtre par décapitation d’un enfant, un meurtre commis de sang-froid. On ne voit pas la victime mais le meurtrier, en gros plan : son visage contracté par l’effort, puis le sang qui jaillit et éclabousse son cou. Tout de suite après avoir commis son crime, Bruno Reidal est pris de remords et va se livrer aux autorités. « J’ai tué François Rauillac et je viens me constituer prisonnier. » dit Bruno Reidal. Alors qu’il est arrêté et emprisonné, les médecins tentent de comprendre ses pulsions de violence et d’expliquer son acte, en lui demandant de relater sa vie. Le professeur Lacassagne lui adjoint d’écrire ses mémoires, de « tout raconter, sans rien omettre ». Ce texte retrouvé par le réalisateur dans les archives de l’affaire est la colonne vertébrale du film. Les écrits de Bruno Reidal laissent apparaitre son intelligence, son goût pour la lecture, son rapport mystique à Dieu et à la religion, la rudesse du monde paysan, la violence des liens familiaux,…Le film suit à la lettre le récit de Bruno: sa scolarité, sa réussite scolaire, ses répulsions, sa ferveur religieuse, en fait une vie d’interdits, de pensées noires, de désirs empêchés. Nous découvrons donc Bruno Reidal à trois périodes à travers une reconstitution d’époque épurée : la petite enfance, la préadolescence et la fin de l’adolescence. C’est un garçon chétif et taciturne, solitaire et peu sociable. Il est le septième d’une fratrie de huit enfants. Doté de capacités intellectuelles très développées, il est surnommé « le philosophe » par ses camarades. Il nourrit cependant des sentiments de rivalité et de jalousie envers ses camarades. Il brûle du désir d’humilier ceux qui lui semblent posséder une beauté qu’il n’aura jamais. C’est également un croyant fidèle et appliqué : il suit l’enseignement catholique avec ferveur et confesse tous ses péchés. Les évènements vécus par Bruno Reidal dans son enfance peuvent-ils expliquer son geste ? Plusieurs événements marquants sont évoqués : l’environnement familial avec un père souffreteux et alcoolique, homme instruit et estimé socialement, une mère acariâtre et violente, rude dans l’éducation de ses enfants et dans la gestion du foyer, une insolation qui a failli coûter la vie à Bruno , la mise à mort traumatisante d’un cochon, le décès précoce du père, l’agression sexuelle qu’il a subi à 10 ans par un berger, la jalousie vis-à-vis de ses camarades permettant de comprendre un rapport amour/haine, la violence de classes, l’exclusion. Bruno Reidal, confession d’un meurtrier est d’une grande pudeur et rien n’est caché ni du geste criminel, ni des confessions de Bruno. Le film ne donne aucune explication, aucune rationalisation du geste de Bruno. Il s’attache plutôt à dépeindre la genèse de ses sentiments, de ses fantasmes et de son raisonnement qui lui permet de justifier, à ses yeux, le passage à l’acte. Le film est dominé par le poids de l’Eglise et de ses commandements et par une société corsetée par la religion. Dans son documentaire Dieu et le raté, Vincent le Port suit un SDF qui cherche un sens à sa vie en se réfugiant dans la religion catholique et en prêchant le message de Jésus-Christ. Dans Le gouffre, une petite fille sourde est attirée par une grotte à l’entrée de laquelle il y a une statue de Saint Marc, guérisseur des sourds et des muets. Bruno Reidal décide d’entrer au séminaire pour canaliser ses pulsions meurtrières. Est-ce à dire que la religion a une importante fondamentale pour Vincent Le Port ? Dans ses trois récits la religion n’est d’aucun secours pour réparer ces trois êtres. Bruno se sent coupable de ses mauvaises pensées, il n’ignore pas qu’elles sont contraires à la loi, sociale ou religieuse. Comme il le précise lui-même, il passera toute sa jeunesse à lutter contre les idées qui l’assaillent. Bruno n’est jamais décrit par ses pairs comme un individu agressif. Au contraire, sa timidité et ses difficultés à se socialiser le portent plutôt à se conduire de manière serviable et respectueuse dans son rapport à autrui. Bruno Reidal n’accuse ni sa famille, ni son milieu social, ni son violeur, ni la justice, ni l’éducation, ni la religion ou les tabous moraux de la société. Il explique très bien, et presque malgré lui, comment tout cela l’a façonné, mais il ne blâme rien ni personne en particulier, dans un mélange de fatalisme et de résignation. A propose de son film Vincent le Port dit « J’ai découvert son existence en 2011 dans le livre Serial Killers de Stéphane Bourgoin. Perdu au milieu de tueurs en série célèbres, médiatisés, et pour la plupart d’entre eux des américains de la deuxième moitié du XXe siècle, se trouvait ce jeune paysan cantalien de la fin du XIXe siècle, qui en plus n’est pas à proprement parler un tueur en série puisqu’il n’a tué qu’une seule fois. Le fait divers et la personne de Bruno m’ont immédiatement fasciné, par cet ancrage temporel et géographique inhabituel, par l’atrocité du meurtre qui contrastait avec l’image que tout le monde se faisait de Bruno et aussi par un paradoxe assez inexplicable, à savoir que l’assassin n’avait apparemment aucun remords, mais qu’il s’était pourtant livré de lui-même aux autorités. Ce qui m’a troublé, c’est d’assister à une souffrance si tangible, si manifeste, en même temps qu’insaisissable. C’était de voir, derrière le monstre que les journaux décrivaient à l’époque, un jeune garçon qui a lutté contre lui-même toute sa vie. Et là où le film doit selon moi dépasser le fait divers, c’est dans ce portrait d’une vie cachée, invisible, dans ces pulsions enfouies qu’il a combattues, dans son impossibilité à communiquer ou à atteindre le bonheur ». Le réalisateur nous fait comprendre que le film pose alors une question simple, mais terrible : au sein d’une telle société, comment peut-on lutter contre ce que l’on est intrinsèquement au fond de soi ? Fervent catholique, Bruno Reidal oscille en permanence, entre pénitence et abandon de soi à tentations meurtrières. Dieu n’est jamais absent et Bruno Reidal se tourne sans arrêt vers Lui pour tenter de comprendre ce qui se passe en lui. A travers la religion, le jeune homme pensait trouver une échappatoire, une délivrance, mais elle le plongeait dans une spirale de culpabilité et de honte, tout en étant un moyen de se dire que quoiqu’il fasse Dieu lui pardonnera. Signalons que le film évoque des tableaux de peinture à travers la beauté des paysages, le monde paysan, la ferme familiale, les regarde des paysans, ainsi que la formidable prestation du comédien Dimitri Doré. Influencé par le cinéma de Bresson et par le film de René Allio Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère dont il adopte la même approche ethnologique, Vincent Le Port nous offre un film au sujet dérangeant avec une mise en scène clinique. Il réalise avec ce film une autopsie pure et dure d’un enfant soumis, et ce dès son plus jeune âge, à des envies de meurtre et de violence. Nous sommes face à un « film itinéraire », celui d’un enfant qui n’a pas su lutter contre ses démons intérieurs. Cette plongée dans le cerveau de Bruno Reidal se fait entendre tout au long du film par une voix-off : celle de Bruno qui se dévoile entièrement et librement. Le cinéaste nous laisse découvrir ce jeune homme au fur et à mesure de son évolution, de ses questionnements, de ses doutes. Nous ne sommes jamais placés devant une forme de miséricorde, le spectateur n’est pas du côté de Bruno, mais à côté de lui. « Un homme, ça s’empêche » a écrit Albert Camus dans Le premier homme. Ça pourrait résumer l’histoire de Bruno Reidal. » Vincent Le Port.
Philippe Cabrol