Festival de San Sébastian 2022
Philippe Cabrol, notre vice-président était cette année, membre du jury œcuménique du festival, avec de droite à gauche sur la photo : Père Edorta Kortadi (Espagne) Carlos Aguilar (Espagne) et Philippe Cabrol (France). Voici son analyse de l’évènement :
« Cette année, le Festival de San Sébastian a célébré sa 70e édition consécutive avec le même enthousiasme que le jour où il a vu le jour pour la première fois le 21 septembre 1953. Il s’est déroulé du 16 au 24 septembre.
La première édition du festival de San Sébastian, considéré comme la meilleure vitrine du cinéma ibérique et latino- américain, date en effet du 21 septembre 1953, mais le festival n’est reconnu officiellement que deux ans plus tard par les instances internationales du cinéma. C’est en 1957 que l’Office Catholique Internationale du Cinéma (ex Signis) y décerne pour la première fois son prix à L’amour ne meurt jamais, un film allemand d’Otto Wilhelm Fischer. Pour le jury, ce film contribuait au progrès spirituel et au développement des valeurs humaines montrant la victoire du spirituel sur une conception matérialiste de la science et de la vie.
De grands noms de l’histoire du cinéma sont liés à Donostia/San Sebastián: Federico Fellini, Audrey Hepburn, Alfred Hitchcock, Jean-Luc Godard, Sophia Loren, Luis Buñuel, François Truffaut, Agnès Varda, Monica Vitti, Orson Welles, Bernardo Bertolucci Francis Ford Coppola, Bertrand Tavernier, François Truffaut, Joseph L. Mankiewicz, Hirokazu Kore eda, …
Saint-Sébastien a été le premier festival de Roman Polanski alors qu’il était encore à l’école de cinéma, le premier où Pedro Almodóvar a présenté un film (Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón / Pepi, Luci, Bom et d’autres Girls Like Mom) et celui qui a remporté ses premiers prix dans la carrière de cinéastes tels que Francis Ford Coppola (The Rain People) et Terrence Malick (Badlands ). Le Festival a tenté sa chance avec les œuvres de cinéastes inconnus à l’époque, tels que Iván Zulueta, Olivier Assayas, Nicolas Winding Refn, , Bong Joon-ho, Laurent Cantet,…
Le programme cinématographique de Saint-Sébastien se compose de quelque 200 films sélectionnés pour six sections compétitives. Nombre d’entre eux se disputent les prix de chaque section, dont notamment la Concha de Oro (Coquillage d’Or), décerné au meilleur long-métrage de la Section Officielle.
En outre, chaque édition du Festival du Film de Saint-Sébastien décerne le Prix Donostia, qui est le prix du public. Cette année fut décerné à Argentine 1985 de Santiago Mitre.
Cette année, le jury Signis composé du Père Edorta Kortadi, Carlos Aguilera Albesa et Philippe Cabrol a décerné le prix au film de la colombienne Laura Mora Los Reyes del Mondo (les rois du monde) et une mention spéciale au film Runner de Marián Mathías. Signalons que le jury de la compétition officielle a décerné, le lendemain, la coquille d’or à Los Reyes del Mondo et le prix spécial du jury à Runner.
Dans Les Reyes del Mondo, cinq garçons, enfants âgés de 11 à 17 ans, fuyant le crime et la corruption, quittent Medellin en quête d’une terre promise où ils y seront les rois du monde. Ils traversent une chaîne de montagnes, des routes et des campagnes, sont à la fois victimes et coupables. Ils dérobent, attaquent, mais se font aussi eux-mêmes voler et sont torturés…
Ce film souligne un aspect important de la réalité sociale de la Colombie : le drame de ces paysans chassés de leur terre par la guerre, venus peupler les bidonvilles des métropoles. La Colombie est le pays qui compte le plus de déplacés au monde. Plus de six millions de personnes ont été chassés par le conflit armé.
Los Reyes del mundo nous interroge sur le monde dont héritent les jeunes générations et nous invite à réfléchir à la manière dont nous pouvons l’améliorer. Il développe les valeurs de solidarité, de fraternité et de recherche d’un idéal capable de répondre aux exigences de justice, de bonté et de vérité auxquelles aspire le cœur humain sont présentes.
Le prix spécial du jury a été décerné à Runner de Marián Mathías. Haas est une jeune fille de dix-huit ans élevée par un père célibataire dans le Missouri. Lorsque son père meurt subitement, elle doit l’enterrer seule. Afin de respecter les termes de son testament, elle doit le ramener dans la communauté où il est né, dans le Mississippi. Avec beaucoup de soin et une splendeur dans la photographie le réalisateur donne un magnifique relief à son film. Il tisse les rencontres et les désaccords de Haas avec d’autres personnes, notamment Will un autre jeune homme à problèmes Marian Mathias filme des jeunes gens taciturnes et solitaires dans des lieux où n’existe pratiquement pas d’espoir. C’est un film sur des relations possibles, sur une rencontre entre des âmes perdues, partir de laquelle commencer à reconstruire l’idée d’une vie. Toute rencontre, discrète mais significative, permet à tout être humain de se reconstruire. N’est-ce pas ce qui arrive à Haas ?
Runner, film simple, triste et douloureux, est visuellement remarquable. Le récit est épuré, l’émotion dans Runner est avant tout transmise par son esthétique
Œuvre expérimentale et indépendante, le film montre l’indifférence aux autres et la réalisatrice utilise son propre style cinématographique, avec une poésie visuelle et une utilisation suggestive et réussie du son. L’usage symbolique de l’eau, de la pluie, comme expressions d’espoir permet une nouvelle rencontre et une nouvelle vie.
Signalons que le nouveau film de Christophe Honoré Le lycéen était en compétition officielle. Ce film raconte le très émouvant portrait d’un désarroi profond de Lucas suite au décès de son père. Paul Kircher a obtenu le Prix d’interprétation pour le rôle de Lucas. Lucas a 17 ans quand son monde d’adolescent est soudainement brisé. Il considère sa vie comme un animal sauvage qui a besoin d’être apprivoisé. Entre un frère installé à Paris et une mère avec qui il vit désormais seul, Lucas devra se battre pour retrouver espoir et amour.
Le Lycéen est un film brillamment construit entremêlant voix-off de Lucas et la restitution, suite au deuil, de la vie sur une famille à travers la radiographie des relations fils-mère et entre deux frères. Christophe Honoré met en lumière des plans serrés sur les visages, utilise une caméra qui bouge et réagit aux émotions : calme face aux sourires, tremblantes pour la tristesse et la colère.
Ce film pose des questions essentielles : alors que commence alors le chemin du deuil, comment se reconstruire à ce moment de la vie qu’est l’adolescence, moment où les pulsions les plus destructrices côtoient l’empathie la plus authentique? Comment s’accepter soi-même et accepter d’être différent ? Comment un adolescent se sent aimé ou rejeté par ses proches ?
Aux côtés d’une mère qui incarne l’humanité d’un frère coincé entre égoïsme et dévouement familial et d’un ami bienveillant et fraternel, le film fait entrevoir un chemin d’espérance qui rappelle Le fils prodigue, Évangile selon saint Luc, chapitre 15, versets 11 à 32.
Carla Quilez a également reçu le prix d’interprétation pour La Maternal de Pilar Palomero. À l’âge de 14 ans, Carla est une adolescente sauvage et rebelle. Vivant dans un modeste restaurant à la périphérie d’une ville avec sa jeune mère célibataire, elle fait l’école buissonnière et passe le temps avec son ami Efraín. Lorsqu’une travailleuse sociale se rend compte que Carla est enceinte de cinq mois, elle est emmenée à « La Maternal », un centre pour mères adolescentes, pour vivre avec d’autres jeunes femmes comme elle. Avec leurs bébés, elles apprendront à faire face à cette nouvelle vie d’adulte à laquelle elles n’ont pas eu le temps de se préparer.
Argentine, 1985 s’inspire de l’histoire vraie des procureurs Julio Strassera et Luis Moreno Ocampo, qui ont osé enquêter et poursuivre la dictature militaire la plus sanglante d’Argentine en 1985. Sans se laisser décourager par l’influence encore considérable de l’armée au sein de leur fragile nouvelle démocratie, Julio Strassera et Luis Moreno Ocampo s’entourent d’ une jeune équipe juridique de héros improbables pour leur bataille David-vs-Goliath. Sous la menace constante d’eux-mêmes et de leurs familles, ils ont couru contre la montre pour rendre justice aux victimes de la junte militaire.
Construit comme un thriller judiciaire et articulé autour d’un scénario habile, Argentina, 1985 retrace avec efficacité toute la préparation du procès, la mise en place par le procureur de son équipe, composée d’avocats jeunes et donc non liés à la dictature, leur minutieux travail d’enquête pour retrouver preuves et témoins. Ce film permet de garder en mémoire ce qu’a été le procès contre les génocides de la dernière dictature civilo-militaire en Argentine.
San Sébastian vous donne rendez-vous l’année prochaine.
Ces films sortiront prochainnement sur les écrans français. »
Philippe Cabrol, vice-président de Chrétiens et Cultures