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Un petit frère

Analyse du film : Un petit frère

Réalisatrice : Léonor Seraille

Genre : drame ; Nationalité : française

Distribution : Laetitia Dosch, Stéphane Bak, Ahmed Sylla, Annabelle Lengronne

Durée : 1h56 mn ; Sortie : 01 février 2023

Le deuxième film de Léonor Serraille, Caméra d’or en 2017 avec Jeune femme, Un petit frère a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2022. Ce film relate la chronique d’une famille ivoirienne des années 80 à nos jours.

Rose débarque à Paris avec ses deux enfants, Jean et Ernest, laissant derrière elle la Côte d’Ivoire, un mariage que l’on devine douloureux et deux fils ainés. Elle emménage dans un appartement exigu de la banlieue parisienne où elle doit cohabiter avec des membres de sa famille installés de longue date dans l’Hexagone. Rose n’a peur de rien. Elle travaille pour un salaire modeste dans des hôtels en tant que femme de ménage. Elle élève Jean et Ernest avec une rigueur spartiate car elle souhaite qu’ils deviennent des écoliers modèles. Et surtout, Rose vit sa vie de femme libre.

Ce film c’est 20 ans d’histoire, 3 personnages et 3 points de vue. La narration du film est décomposée en trois parties distinctes qui adopte successivement le point de vue de ses trois personnages: la première suit la mère, la seconde le grand frère et la dernière le petit frère (qui est le narrateur en voix-off). Rose est une mère courage qui, envers et contre tout, refuse d’obéir aux diktats de ses proches et de son environnement social. Jean, ce petit garçon débrouillard deviendra un étudiant prometteur avant d’emprunter de dangereux chemins de traverse. Ernest, le petit frère du titre, qui, de l’enfance à l’âge adulte, semble vivre dans l’ombre de sa mère et de son aîné, apprendra à leur contact à devenir un jeune homme libre. À tour de rôle, chacun occupe le centre de la scène, présentant son regard sur leur famille et l’acclimatation à ce nouvel environnement.

À travers ces trois points de vues, la réalisatrice décortique l’intégration d’une famille d’immigrer sans tomber dans les clichés. Avec douceur, elle livre trois portraits intelligents qui révèlent les qualités multiples d’un scénario qui a l’art de rester sobre. Cette construction narrative lui permet d’ajouter de la nuance dans la caractérisation de chacun de membres de la famille : parfois égoïste, à d’autres moments prêts à tout pour s’entraider. Ils sont avant tout profondément humains, complexes, et apprennent tant mal que bien, au gré des joies, des épreuves et des séparations, à composer avec la violence du monde.

Au- delà de l’aspect politique et social du film, Un petit frère se vit d’abord comme un film de personnages à travers une femme qui, en dépit des obstacles, entend vivre sa vie comme elle l’entend, un grand frère mu par une rage intérieure qui va devenir explosive quand il comprendra qu’il ne parviendra jamais à habiter le destin qu’il s’était imaginé, et un petit frère qui va tenter de tirer les leçons de toutes ces péripéties souvent tragiques. Dans le film, une très forte responsabilité incombe à l’aîné, c’est celui qui apparaît comme le plus doué, et qui malheureusement ne va pas réussir à soutenir la pression qui repose sur ses épaules. Léonor Serraille montre avec talent la nervosité qui l’habite, jusqu’à le consumer, lui qui s’était fixé des objectifs très élevés, comme celui de réussir le concours d’entrée d’une grande école parisienne. Sa descente aux enfers, qui devient rapidement une absence douloureuse pour Ernest, est un constat d’échec pour les deux autres membres du noyau familial. Ernest, le petit frère nommé, qui est au centre de la troisième partie, se retrouve seul, il est inséré dans la vie sociale de sa ville et de son école tout du moins en apparence. Devenu enseignant, il est aussi seul, coupé de ses racines, de sa famille et de ce frère qui était son modèle, son phare. Beaucoup de tristesse émane dans cette dernière partie qui est le constat d’une faillite dans le projet initial de cette famille, et surtout de Rose.

Un petit frère impressionne par sa précision dans la réalisation. Chaque cadre est bien pensé et dévoile subtilement les émotions des personnages avec beaucoup d’humilité.  La conclusion est belle et bouleversante, montrant le terrain miné qui amène à l’assimilation culturelle.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr