Cinélatino 2023
Le souffle de l’Amérique Latine revient pour la 35eme fois à Toulouse.
Plus de 100 films, des longs, des courts, des documentaires, des fictions, du cinéma d’animation, des comédies, des films historiques, politiques, sociologiques, ethnographiques… accompagnent cette édition.
Cette année la foisonnante création colombienne est présente avec Cinéma Colombien Contemporain. 2022 a été une année marquante pour la reconstruction de la vitalité du cinéma colombien. Il conquiert une solide notoriété dans les festivals internationaux. Parmi les films sélectionnés à Cinelatino, nombreux interrogent les crises, les tensions, la violence de l’histoire passée ou présente. C’est la nécessité de dire, raconter, témoigner, transmettre. La violence des années 80 et du conflit armé est interrogée, comme les bouleversements sociaux contemporains et les mesures de réparation gouvernementales.
Dans Los Reyes del mundo de Laura Mora, cinq enfants cherchent la terre promise par le gouvernement après la loi de la restitution des terres. La question du territoire est primordiale dans la cinématographie colombienne contemporaine. Le territoire est traversé, il apparait comme une quête, il est menacé, ainsi dans La Roya de Juan Sebastián Mesa. Les films s’imprégnent des questions humaines et politiques et parlent de jeunesse, de révolte ainsi L’Eden (La Jauria) d’Andres Ramirez Pulido, Un Varon de Fabian Hernandez.
Dans L’Eden, Eliú est incarcéré dans un centre de réclusion expérimental pour mineurs au cœur de la jungle colombienne. Il a commis un meurtre avec son ami El Mono. Tous les jours, les jeunes font des travaux exténuants et des thérapies de groupes intenses. La police tente de résoudre l’affaire mais les deux jeunes ne disent pas tout. Entre silence et mensonge, dans une végétation et une terre qui semblent hantées, le mal couve et pas seulement parmi les jeunes détenus.
La Roya : sur les versants escarpés du Quindio colombien, Jorge vit avec son grand-père et perpétue la culture du café, seul de sa génération à ne pas avoir choisi la ville. La « roya », le champignon toxique, a gagné les plantations. Lors des fêtes populaires du village qui s’annoncent, il va retrouver son premier amour et ses ancien(nes) ami(e)s. Entre travaux agricoles et plaisirs de la fête, Jorge reste hanté par ses souvenirs
Les films brésiliens ont constitués le programme Brésil, cinéma et politique. Ces films composent un paysage du Brésil contemporain dans sa complexité. Ce programme est constitué des films inédits en France, de documentaires, de fictions et un film restauré, le magnifique Le Dieu noir et le diable blond de Glauber Rocha qui obtint la palme d’or à Cannes en 1964. Les positionnements politiques sont forts dans les films présentés : la fracture sociale qui engendre la lutte des classes Une seconde mère d’Anna Muylaert, la lutte contre les violences faites aux femmes Régle 34 de Julia Murat, la dénonciation du procès qui a condamné Lula Amigo secreto de Maria Augustas Ramos… Ce cinéma offre des histoires de rébellion et de résistance, de fantaisie et d’humanité.
Coté palmarès, c’est le cinéma mexicain qui a glané le plus de prix. Ainsi, Dos estaciones du mexicain Juan Pablo Gonzales a remporté le Grand Prix Coup de Cœur. Troublante, l’histoire de cette femme qui se bat comme une lionne pour sauver sa distillerie de tequila et maintenir les emplois de tous ceux, qu’en patronne à visage humain, elle fait travailler mais aussi protège, comme la mère d’une grande famille. Ensuite, c’est la tendre et douce Sol, fillette de 7 ans qui observe sa famille préparer une fête d’anniversaire pour son jeune papa gravement malade, dans Totem de la mexicaine Lila Avilés. Ce film a obtenu le prix du public. Troisième couronnement mexicain avec Zapatos Rojos de Carlos Eichelmann Kaiser. Ce film sur la violence faite aux femmes repart avec deux Prix : celui des Electriciens Gaziers et celui du Rail d’Oc .
Par ailleurs, le jury des lycéens a attribué son Prix à Carvão film brésilien de Carolina Markowicz. Notons que Carvão a également obtenu le prix de la Critique Internationale et que le prix de la Critique est allé au colombien pour Anhell 69 selon le jury. Enfin le Prix Ciné + revient à Brujeria.
Côté documentaire, le Prix des Rencontres de Toulouse revient à La Bonga de Canela Reyes et Sebastián Pinzón Silva. Le Prix du Public est allé à Mamà de Xun Sero et le Prix Signis à La Colonial de David Buitrón Fernández.
Des films en sélection :
Brujeria de Christophe Murray, le film nous plonge dans l’univers singulier de Chiloé, à la fin du XIXe siècle, pour un retour aux origines indigènes et à la culture insulaire des Huilliches. Basée sur des faits réels, la répression d’État est redoublée par la violence de la répression coloniale incarnée par un Allemand qui dirige une ferme. Rosa, fillette Huilliche, après l’assassinat de son père par ce maître en rupture d’humanité, veut que justice soit faite. Elle renoncera à son éducation chrétienne pour retrouver sa vraie identité et intégrer cette organisation puissante de sorciers de l’île qu’est La Recta Provincia avec à sa tête Mateo. Comme son peuple, elle appartient désormais à la mer… La sorcellerie comme outil de résistance et de transformation
Carvao de Carolina Markowicz. Dans une campagne perdue au loin de São Paulo, une famille, qui vit difficilement du commerce du charbon de bois, cache chez elle, dans des conditions scabreuses, un mystérieux Argentin pas très recommandable. La cohabitation va vite s’avérer compliquée pour maintenir les apparences. Non sans un peu de méchanceté, la réalisatrice se moque de ces « petites gens » attirées par l’appât du gain. Elle montre aussi beaucoup d’affection et de respect pour ses personnages, avec une pointe d’humour réjouissante.
Dos estaciones de Juan Pablo Gonzalez. Nous suivons María, productrice de tequila, femme solitaire, aux prises avec des difficultés économiques suite à l’implantation de grandes compagnies étrangères en concurrence déloyale avec les entreprises locales. Teresa Sánchez campe avec intensité cette « tequilera ». Son calme apparent et son sérieux masquent sa détresse face à la disparition probable de sa distillerie. Un beau portrait psychologique de cette femme aux abois. Rafaela, embauchée contre gîte et couvert, sera son administratrice et lui redonnera espoir et réconfort, mais les fléaux naturels s’en mêlent et le dénouement sera… abrupt et radical. Avec cette histoire locale, concise et stimulante à la croisée du documentaire et de la fiction, le réalisateur crée une atmosphère réaliste et un personnage attachant.
Totem de Lila Aviles : Sol, une gamine de 7 ans, se trouve au milieu d’un monde d’adultes, dans la maison du grand-père, microcosme d’une famille réunie pour préparer la fête anniversaire de Tonatiuh, ce père, mari, fils, frère. Le film est centré sur la relation de la fillette à son père gravement malade et mourant. Naíma Sentíes, qui interprète Sol, est émouvante de gravité, de profondeur, de lucidité aussi car elle perçoit que quelque chose est en train de basculer dans son univers. Un film délicat et sensible sur la vie, les relations familiales parfois chaotiques et la perte, irrigué par une tendresse qui sort de la violence endémique du Mexique. À la fois choral et intime, la tristesse y est aussi compensée par la relation ludique de la mère à cette enfant
Zapatos Rojos de Carlos Eichelmann Kaiser. Tacho, paysan taciturne et peu loquace à l’image des montagnes arides du nord du Mexique, doit voyager à la capitale pour reconnaître le corps de sa fille, assassinée, comme tant d’autres femmes victimes de féminicides. La culpabilité et le remords pour un acte de violence commis à l’encontre de sa fille consument cet homme déjà âgé. Il cherchera dans ce voyage jusqu’à sa fille à se libérer des sentiments qui l’accablent, à soigner cette blessure, soulager sa douleur. Interprété par un acteur non professionnel, ancien mineur, dont la sobriété et les silences s’inscrivent dans une réalisation minimaliste au rythme posé, dans une sorte de road movie poétique et solitaire. Un film sur la paternité, la violence de genre, le deuil, sous l’angle de l’introspection et de la culpabilité.
La Bonga de Canela Reyes et Sebastián Pinzón Silva. Guidés par les percussions et les chants, grands et petits se regroupent pour traverser la jungle colombienne. Ni la chaleur ni la pluie ne les empêchent de rejoindre leur but. Pour la première fois en 20 ans, 150 familles retournent à La Bonga après avoir été forcées de quitter la ville à cause du conflit armé et des menaces des paramilitaires. Il reste peu de l’école et des murs des maisons, aujourd’hui envahis par la nature. Les souvenirs restent eux aussi engloutis sous la végétation. Cette nuit, les danses célèbrent Santa Rosa, patronne du village. Le désir de réinvestir les lieux y est fort. La Bonga donne à voir avec douceur et sobriété les blessures encore ouvertes du conflit armé.
Mamà de Xun Sero. Xun Sero est originaire d’une communauté tzotzil du Chiapas qui vénère la Vierge de Guadalupe et la Terre-Mère, sans pour autant réserver le même traitement aux mères réelles – surtout lorsqu’elles sont célibataires – comme la sienne. Dans le dialogue intime et sensible qu’il entame avec sa mère alors qu’elle vaque aux tâches domestiques, le réalisateur fait émerger progressivement la misogynie, la violence et la stigmatisation auxquelles elle a été confrontée et qu’il a inconsciemment reproduites. Tout en douceur, Mamá dresse le portrait d’une femme digne, forte et résiliente qui a su s’émanciper des diktats de sa communauté tout en offrant une réflexion pertinente et subtile sur la place des femmes dans la société.
La Colonial de David Buitrón Fernández. Située dans un des quartiers les plus populaires et anciens de la ville de Mexico, La Colonial est aujourd’hui une grande demeure qui accueille tous ceux qui sont de passage. Peu importe leur parcours ou leurs origines, dans La Colonial peuvent trouver abri tous les exclus. Au sein de ses vieux murs se tissent des histoires d’un autre monde, celui des laissés pour compte ; ses recoins abritent toute une diversité de paroles, de trajectoires. Au gré des conversations et des moments de partages se dessinent en filigrane la solitude et l’entraide. Entre les visages, les fragments de conversations, les gestes simples de la vie quotidienne, se compose poétiquement la narration de la fragilité de nos existences. Le jury Signis a décerné son prix au documentaire La Colonial de David Buitron Fernández, pour les raisons suivantes : « C’est au sein de La Colonial, grande demeure que sont accueillis tous les gens de passage, et notamment les exclus. Ce film documentaire témoigne de la dignité sacrée de l’être humain, de la solidarité et de la fraternité vis à vis des exclus. Le réalisateur a filmé avec émotion, compassion, bienveillance et beauté les regards et les gestes quotidiens des résidents de La Colonial. L’alternance entre le blanc et le noir élève ce documentaire dans le sens d’une sacralisation et l’illumine d’amour et de tendresse.
Quant aux courts métrages, fut primé par le jury Signis Las huellas que vamos dejando d’Andrés Alonso Ayala.
« Nous avons été sensibles à travers la beauté des images au message du réalisateur pour une société qui a pour devoir de protéger nos ressources naturelles. Nous sommes appelés à élever nos voix, même si nous ne sommes pas écoutés, tous ensemble et pour le bien commun. »
C’est ce message universel que nous délivre avec sobriété et poésie le cinéaste.
Philippe Cabrol, membre du jury Signis