Sous le ciel de Koutaïssi
Sous le ciel de Koutaïssi, du géorgien Aleksandre Koberidze, sera projeté au Cinéma Nestor Burma le lundi 2 décembre à 19h15 dans le cadre du CAP à l’EST – Festival du Cinéma de l’Europe de l’Est à Montpellier, en partenariat avec le Festival chrétien du cinéma. Anne-Cécile Antoni, co-organisatrice de celui-ci, présentera et animera le film.
Né à Tbilissi en Géorgie, Aleksandre Koberidze est un acteur et réalisateur de 40 ans qui aime le football, le cinéma muet et les films de Nanni Moretti. Sous le ciel de Koutaïssi, son deuxième long-métrage de fiction, a reçu le prix FIPRESCI – prix de la critique internationale- au Festival de Berlin en 2021 et le Grand Prix du jury au festival Premiers Plans d’Angers en 2022.
En Géorgie, il est impensable de faire des films sans se référer à Otar Iosseliani, maître du cinéma en ce pays. Koberidze se réclame de l’influence de ce grand réalisateur. Lorsque la Géorgie était l’une des républiques de l’URSS, le cinéma s’était transformé en un outil de propagande. À partir du dégel des années soixante, toute une génération de cinéastes introduit une dimension poétique dans ses œuvres. Ce style poétique, qui perdure, rend le cinéma géorgien contemporain particulièrement attachant. Sous le ciel de Koutaïssi, en constitue une illustration insolite.
C’est le coup de foudre quand Lisa et Giorgi se rencontrent par hasard dans les rues de Koutaïssi. L’amour les frappe si brusquement qu’ils en oublient de se demander leur prénom. Avant de poursuivre leur chemin, ils décident de se retrouver le lendemain. Le coup de foudre est suivi d’un coup du sort : une malédiction s’abat sur eux. Lisa et Giorgi se réveillent dans la peau d’une ou d’un autre. Cette histoire d’amour à la fois maudite et enchantée est racontée dans le style du réalisme magique. Dans cette fable nimbée d’un romanisme diffus, riche en trouvailles narratives et visuelles, Koberidze s’offre l’audace de suspendre le temps pour nous raconter l’histoire de la ville dans des zigzags documentaires ou des flâneries rêveuses, parfois les deux en même temps. Il nous charme et nous déboussole simultanément.
Koberidze pratique un art du décentrement. Il est attentif aux guirlandes de petits riens qui entourent cet amour suspendu. Il y a des jeux d’enfants, des allées et venues, des coins de rue, des bras de fleuve, des soirs qui tombent, des jours qui se lèvent, du vent dans les feuilles et, surtout, des visages glanés aux quatre coins de la ville. Le réalisateur se sert de la fiction pour capter et rassembler, en une mosaïque d’instantanés, le réel dispersé. Il brosse un portrait facétieux et vagabond de la ville, qu’il saisit dans la sensualité d’un été de coupe de monde, où les chiens de rue se donnent rendez-vous dans leur café préféré pour assister aux matches de de football.
Le narrateur, avec une voix off légèrement caustique, repeint chaque bribe de banalité en une aventure extraordinaire. Enchevêtrant réflexions graves et notes légères, il s’adresse parfois directement au spectateur. Il le prend à témoin, le guide, l’alerte sur le monde laissé aux nouvelles générations. Il communique ses doutes sur le rôle de l’art, du cinéma en particulier : en ces temps où le monde brûle, est-il nécessaire de tourner des films si rêveurs ?
À chaque instant, le réalisateur parvient à surprendre. Il donne l’impression d’inventer sans cesse son propre style, dans un film joueur, malicieux, léger, contemplatif, et par-dessus tout libre. Le titre international du film est What do we see when we look at the sky ? (Qu’est-ce que nous voyons quand nous regardons le ciel ?). Kouberidze se garde bien de répondre. Mais son hymne à la vie, qui magnifie les petits riens du quotidien, trouve un subtil équilibre entre poésie et réalisme. L’étrangeté familière de sa fable se double d’une dimension fantastique. C’est un conte où les sortilèges de l’amour et la magie du cinéma se répondent. Une caresse de cinéma.
Anne-Cécile Antoni