Gladiator 2
Analyse du film : Gladiator 2 de Ridley Scott
Sortie : 13 novembre 2024 en salle | 2h28min | Action, Drame, Péplum
De Ridley Scott | Par David Scarpa
Avec Paul Mescal, Pedro Pascal, Connie Nielsen
Difficile de succéder à un film aussi culte que Gladiator, premier grand classique du XXIe siècle, vu et apprécié par des générations de spectateurs.
Ridley Scott revient avec une suite à son désormais culte Gladiator (2000), qui avait raflé d’un coup d’épée pas moins cinq récompenses (meilleur film, meilleur acteur pour Russell Crowe, meilleurs costumes, meilleur son, meilleurs effets visuels) pour douze nominations à la 73e cérémonie des Oscars. Ce nouveau péplum de Ridley Scott est un pari audacieux. Ce Gladiator 2 est sans surprise l’un des blockbusters les plus attendus de cette fin d’année.
La ligne narrative se déroule deux décennies après les événements originaux deGladiator.Lucius Verus petit-fils de Marc Aurèle, fils de Lucilla et neveu de Commode, a troqué sa toge d’hériter de l’Empire pour une vie plus paisible avec sa femme et son enfant en Numidie. Mais les armées des co-empereurs Caracalla et Geta envahissent le territoire d’Afrique du Nord, dirigées par le général Marcus Acacius, formé par Maximus. Lucius est capturé et décide de combattre ses ennemis en tant que gladiateur
Tout comme le premier film, cet opus regorge de scènes dantesques: des duels, des batailles, des moments de génie stratégiques, des complots… mais aussi de dialogues captivants. Impossible de ne pas apprécier certains retours aux sources avec les «force et honneur» ou «ce que l’on fait dans sa vie, résonne dans l’éternité», de même ces lignes de Virgil que récite Lucius : «Les portes de l’enfer sont ouvertes nuit et jour, fluide est la descente, évident est le chemin», le «oserons nous reconstruire ce rêve ?» lors de son discours final, ou encore «la où nous sommes, la mort n’est pas» qu’aime prononcer Lucius pour motiver ses troupes.
Et comme dans tout bon péplum, l’histoire du héros permet une plongée dans l’Antiquité, géographique, avec un scénario qui nous fait voyager en Afrique du nord, où Lucius avait été exilé, et politique, avec le choix de décrire un empire, reluisant vu de l’extérieur, mais fragilisé de l’intérieur. La beauté de certains plans (l’allée de l’Obélisque, la porte de Rome), notamment les vues aériennes de la capitale de l’empire, Enfin, le Colisée, dont il est beaucoup question puisqu’il concentre de nombreux affrontements, est également magnifiquement dépeint.
Mais après avoir été attaqué au sujet des inexactitudes historiques de Napoléon, le réalisateur est de nouveau critiqué au sujet de son nouveau film, Gladiator 2. En effet le seul point commun que l’on pourrait trouver avec son dernier film Napoléon, et qui devrait une fois fortement contrarier les historiens, est son rapport avec l’histoire. Ainsi, si le Colisée pouvait bel et bien accueillir des reconstitutions de combats maritimes, il n’a jamais été question que celui-ci abrite des requins. De même, aucun gladiateur n’a jamais dompté de rhinocéros pour combattre.
Une scène en particulier, mêlant requins et Colisée, est accusée d’être un tissu du « bullshit hollywoodien total ». C’est ce qu’explique une historienne, Shadi Bartsch, professeur de lettres classiques à l’université de Chicago et spécialiste de la Rome Antique, a fortement critiqué le film de Ridley Scott à cause d’une scène jugée totalement irréaliste. Une séquence de Gladiator 2 montre en effet le Colisée, l’immense amphithéâtre de Rome, rempli d’eau… Et de requins. Suite à ces déclarations Ridley Scott a été formel : «tout est vrai ! Vous vous trompez complètement. Le Colisée a été inondé avec de l’eau et il y a eu des batailles navales». Dans la suite de l’entretien, Ridley Scott explique qu’il s’agissait de « petits » requins, entre 1m85 et un peu plus de 2 mètres.
Gladiator 2 est loin, bien loin, d’offrir une fine reconstitution cinématographique de l’un des pans les plus sulfureux et fantasmés de l’histoire de l’Empire romain: la gladiature. Le film use et abuse de raccourcis, d’anachronismes et d’exagérations en tout genre, notamment lorsqu’il s’agit de lancer dans l’arène des bêtes féroces gavées de stéroïdes virtuels. Mais après tout, sa mission première est de livrer à son public du grand spectacle.
Néanmoins,Gladiator 2 dépeint parfois avec un certain réalisme une période qui, selon l’historien Éric Teyssier, se fait trop rare au cinéma.
Dans un interview de Sciences et Avenir: Éric Teyssier l’auteur de Gladiateurs (paru le 30 octobre 2024 chez Glénat), qui a pu voir le film avant sa sortie, démêle le vrai du faux : « Je dois déjà vous dire que je fais partie de ces spectateurs-là, pour ne pas dire des fans absolus de Gladiator. Ce film a même changé ma vie puisqu’à l’époque de sa sortie, en 2000, j’étais maître de conférences en histoire sur un tout autre sujet : l’histoire économique et sociale de la Révolution française et de l’Empire. J’ai tellement aimé le film que je me suis lancé dans l’archéologie de la reconstitution, qui est une discipline expérimentale, appliquée aux gladiateurs ».
« De la même façon que m’avait marqué la qualité des costumes de soldats et légionnaires dans Napoléon , j’ai trouvé que les costumes étaient de très bonne facture dans Gladiator 2. Si l’on met de côté le fait que le général interprété par Pedro Pascal combat sans casque et sans bouclier, ce qui est tout à fait absurde… Mais oui, d’une manière générale, l’équipement guerrier y est très bien reconstitué ».
« Pour être honnête, j’ai eu le sentiment que du point de vue de sa pertinence historique – et là encore, je rappelle que ce n’est pas ce qu’on attend forcément de ce film -, Gladiator 2 fait un peu les choses à moitié. Prenons la scène de la bataille navale au Colisée de Rome. Ce genre de combats-spectacles sur l’eau ont réellement existé dans le monde du divertissement romain, et d’ailleurs, une bataille navale a vraiment eu lieu au Colisée lors de son inauguration par Titus en 80 de notre ère.
L’arène avait été remplie d’eau via le système d’aqueducs très développé de la ville. Mais cela n’a pu arriver que cette fois-là car ensuite, les espaces du sous-sol dédiés aux effets scéniques ont été aménagés. Donc cette scène pourquoi pas, mais pourquoi avoir mis des requins ? C’est idiot et dommage. Ils auraient pu mettre des crocodiles, à la limite… »
Comment le film parle-t-il des gladiateurs ?
« Il mélange à vrai dire deux époques de la gladiature. Une première qui perdure jusqu’au plus grand soulèvement d’esclaves que la République romaine ait connu, entre 73 et 71 avant J.-C., et dont le gladiateur d’origine thrace Spartacus est à l’origine. Au cours de cette première période, les gladiateurs sont en grande majorité des prisonniers de guerre forcés à combattre dans l’arène. D’ailleurs, ces prisonniers sont si nombreux que les spectacles de gladiateurs sont une façon bien rentable de s’en débarrasser.
Cette triste condition va donc être l’une des raisons de la révolte des esclaves de 73, et l’empereur va réaliser qu’il est dangereux de garder enfermés des milliers d’hommes dans la perspective qu’ils s’entre tuent pour le plaisir du peuple.
À partir de là, la gladiature va évoluer. Les gladiateurs ne sont plus des prisonniers et des esclaves mais des volontaires rémunérés, dont les plus performants – et les plus célèbres – sont parfois payés très cher. Ils sont embauchés, contrats à l’appui, par des lanistes, qui sont grosso modo des marchands et propriétaires d’une troupe de gladiateurs appelée familia gladiatoria.
Ils s’entraînent tous ensemble, encadrés par un docteur, terme employé pour désigner les entraîneurs. Lors de ces sessions, leurs armes sont factices car il n’est en aucun cas question d’être blessé. L’objectif est de pousser leur technicité à son maximum et de remporter des combats tout comme les boxeurs le font aujourd’hui. Le film est donc un mélange de ces deux parties de l’histoire de la gladiature ».
Comment faisait-on pour se retrouver à performer devant l’empereur au Colisée de Rome ?
En ayant le meilleur palmarès possible, tout simplement. On va rarement mettre dans l’arène un gladiateur qui commence sa carrière face à quelqu’un qui a déjà 15 victoires à son actif. L’empereur avait ses propres champions qui combattaient face à d’autres champions de lanistes et parfois, les choses tournaient mal… Caligula par exemple fut très fâché lorsque son poulain fut vaincu par un autre, au point qu’il empoisonna le vainqueur.
Mais d’autres empereurs jouaient le jeu, disons qu’ils avaient « l’esprit sportif ». Vespasien, notamment, suivait le peuple et finissait souvent par soutenir celui pour qui le public s’enthousiasmait. C’est un peu ce que veut dire la phrase « du pain et des jeux ». À un moment de l’Empire durant lequel la démocratie n’est plus, il n’y a plus qu’au cours des spectacles que le peuple peut s’exprimer.
On voit dans le film des babouins enragés et des rhinocéros combattre dans l’arène. Ces animaux étaient-ils vraiment utilisés ?
Des babouins aussi enragés, ça n’existe pas, non ? Là encore, le film mélange les choses. Il existait des professionnels qui combattaient contre des animaux, souvent des fauves. Mais les gladiateurs, eux, combattaient entre hommes. Ces deux professions ne se mélangeaient jamais. En revanche, il y avait bien des spectacles hommes/animaux, les plus cruels : ceux des condamnés à morts jetés aux bêtes.
Concernant la faune qui a pu se retrouver dans les amphithéâtres, c’était un peu n’importe quoi. À Rome, l’empereur avait les moyens de faire venir à peu près tout ce qu’il voulait, c’est-à-dire des lions, des tigres et parfois, oui, des rhinocéros. On sait notamment qu’un rhinocéros fut un jour attaché à un taureau sauvage pour provoquer leur inévitable – et bien triste – combat… Dans les provinces, on faisait plutôt entrer dans les arènes des animaux moins coûteux comme des taureaux ou des ours. Mais tout aussi capables de tuer des hommes.
Pour finir, parlons un peu des empereurs frères, Geta et Caracalla…
Encore une fois, ce qu’on voit d’eux est à moitié vrai. Ces frères n’ont gouverné ensemble que quelques mois, sans doute à distance l’un de l’autre. À sa mort en 211 de notre ère, Septime Sévère, leur père, a émis le souhait que ses deux fils lui succèdent et règnent ensemble. Ce qui, bien sûr, n’était pas viable, d’autant que Geta et Caracalla n’avaient jamais eu la connivence que leur prête le film.
Ils s’étaient toujours détestés. D’ailleurs, ils avaient une peur bleue de se faire empoisonner par l’un ou par l’autre. Caracalla, qui était une vraie brute épaisse, a fini par poignarder son frère dans les bras de leur mère. Pour sûr, le tempérament colérique et cruel de Caracalla n’est pas exagéré dans le film. Geta, lui, était plus doux et pondéré.
Quelle est à votre sens la plus grande incohérence historique du film ?
Sans hésiter, le fait qu’un laniste puisse s’emparer du pouvoir. Cela aurait été tout simplement impossible au temps de l’Empire. Les lanistes sont des hommes à l’aura trouble. Ils font commerce du sang et rebutent la société comme peuvent aujourd’hui rebuter, sous certains aspects, les bouchers et les croque-morts. Paradoxalement, ils sont aussi admirés comme des artistes ou des grands sportifs. En tout cas, ils n’ont rien à voir avec le pouvoir.
Philippe Cabrol
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