Conclave
Analyse du film Conclave :
CONCLAVE d’Edward Berger
Le cérémonial du choix d’un nouveau pape possède un potentiel cinématographique énorme, qui a récemment intéressé des cinéastes aussi différents que Moretti avec Habemus Papam, Sorrentino avec The young Pope ou Meirelles avec Les deux Papes.
Adapté du roman éponyme de Robert Harris en 2016, avec le film Conclave, Edward Berger nous plonge au cœur de l’élection papale et nous dévoile un processus sacré où rivalités politiques et intrigues personnelles se heurtent à des enjeux de foi. Le réalisateur s’inspire pour sa mise en scène de thrillers paranoïaques américains des années 1970.
CONCLAVE d’Edward Berger. Etats-Unis/Grande Bretagne, 2023, 2h01.
Avec : Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Sergio Castellitto, Isabella Rossellini
Robert Harris a eu l’idée de son livre Conclave lors de l’élection du Pape François en 2013, il avait été marqué par la dimension éminemment politique de cet événement planétaire.
Thriller papal, Conclave ( emprunté du latin ecclésiastique conclave, «assemblée de hauts dignitaires», en latin classique, « chambre fermant à clef ») se déroule en 72 heures intenses dans l’enceinte secrète et chargée d’histoire du Vatican. Dès les premières images, l’ambiance est lourde, la tension est à son comble et quelques plans fixes et concis, d’une efficacité rare, vont nous plonger dans ce conclave.
Le récit s’ouvre sur une déclaration solennelle : «Le trône du Saint-Siège est vacant.» Ces mots, qui annoncent la mort du pape, marquent le début d’un conclave où les cardinaux sont appelés à élire son successeur. En effet, lorsqu’un pape meurt ou renonce, ce sont les cardinaux, réunis en conclave dans la chapelle Sixtine au Vatican, qui doivent élire son successeur. Toute élection d’un pape obéit à une histoire et des règles particulières. Lorsque les cardinaux entrent en conclave au chant du Veni Creator Spiritus, le monde semble retenir son souffle. Lequel de ces hommes vêtus de pourpre apparaîtra au balcon de la basilique Saint-Pierre revêtu de blanc ? Qui est le prochain homme qui devra guider l’Église catholique ?
Le réalisateur n’est pas un adepte du manichéisme ou encore du gigantisme, cependant il met en exergue tout le poids du monde dans les yeux de ses personnages. Edward Berger offre une œuvre qui, plus qu’une simple élection, fait écho aux défis auxquels le contexte actuel fait face. Plus qu’une guerre de foi, c’est une guerre d’hommes et d’idées entre les rivalités continentales, ethniques ou culturelles, les inimitiés ou les ambitions personnelles.
Quand le pape décède, le cardinal Lawrence, doyen du Collège des cardinaux, se retrouve responsable pour organiser la sélection de son successeur. Chargé de l’élection d’un nouveau pape, il sait que le candidat qui finit par remporter le scrutin doit être « innocent » de tout soupçon que ses collègues cardinaux pourraient soulever, et qu’il est exempt de « mauvaises intentions ».Alors que les machinations politiques au sein du Vatican s’intensifient, il se rend compte que le défunt leur avait caché un secret qu’il doit découvrir avant qu’un nouveau Pape ne soit choisi. Le cardinal Lawrence est conscient que sa mission se révèle un défi de taille dans un monde clos où chaque geste et parole sont scrutés et qu’il préside une lutte sans merci entre libéraux et conservateurs, les deux factions étant convaincues d’agir dans l’intérêt de l’humanité.
Le cardinal Lawrence vit une crise de foi personnelle qui a des répercussions sur le collectif. Tout le film parle de la lutte de Lawrence avec sa foi. Confronté à ses propres paradoxes, à son mal-être, Edward Berger esquisse l’homme de foi tel un ange aux ailes brûlées par les secrets et les problématiques qui s’abattent sur lui. Le cardinal Lawrence maintient le plus possible une expression bienveillante et sereine lors de ses échanges avec ses pairs. Est-il une figure bienveillante motivée par la préoccupation, ou plutôt un stratège rusé dissimulé sous l’ambition, désespéré d’accéder au trône papal ? Cependant face aux turpitudes de ses pairs, le cardinal Lawrence entend mener le processus à son terme. Confronté à ses propres paradoxes, à son mal-être, Edward Berger esquisse l’homme de foi tel un ange aux ailes brûlées par les secrets et les problématiques qui s’abattent sur lui.
Le défunt pape, apprend-on, était un libéral et un réformiste convaincu. Il avait semé quelques graines qui pourraient faire élire un pape rassembleur, intègre et humble. Le scénario s’attache à quatre cardinaux, chacun étant un «candidat potentiel»: un africain, un anglais, un italien et un nord-américain. Or, deux des favoris dans la course défendent des vues conservatrices face à un troisième candidat jugé très libéral pour rallier une majorité. Pour gagner, jusqu’où les uns et les autres sont-ils prêts à aller? Révélations, turpitudes, corruption…
Les cardinaux s’organisent, s’opposent, s’agitent et s’affrontent dans des manœuvres politiques, idéologiques et des jeux de pouvoir. Nous sommes loin des notions de paix, de spiritualité et de fraternité. Entre les murs du Vatican, c’est tout un monde de tractations, de corruption, de soutiens et d’opposants qui se met en branle. Le film montre les dérives de ces hommes puissants, sans en négliger les intrigues. Très vite, nous découvrons que derrière la sérénité apparente des débats se cache une guerre silencieuse de manipulations et d’ambitions.
Le pouvoir est le thème central du film. Des répliques marquantes ponctuent le film, ainsi «Les hommes les plus dangereux sont ceux qui veulent être papes.» Cette phrase illustre à quel point l’élection papale peut être autant, voire moins, une quête divine qu’un affrontement humain. Un cardinal déclare à un confrère que tous les hommes occupant leur fonction rêvent en secret de devenir pape, ou encore «Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que tu n’as jamais songé au nom du pape que tu choisirais?» «C’est une guerre! Et vous devez prendre parti», dit un cardinal progressiste au cardinal Lawrence.
Nous ne retrouvons pas, dans ce long métrage, les mots du Christ «celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave » Matthieu 20, 26-27.
Conclave est aussi un plaidoyer contre les certitudes. Dès les premières minutes, on apprend que le défunt pape éprouvait des doutes. Non pas sur Dieu, mais sur l’Église. Puis, vient le discours d’ouverture du conclave, où le cardinal Lawrence déclare: «Il y a un péché que je crains plus que tous les autres… la certitude».
Le film est très précis sur de nombreux points. Il recrée les chambres de la maison d’hôtes – la Domus Sanctae Marthae – où les cardinaux séjournent pendant le conclave. On nous montre également la fermeture de la chambre du pape défunt et la destruction de sa bague, les serments prêtés par les cardinaux avant de voter, l’utilisation de produits chimiques pour s’assurer que la bonne couleur de fumée sort de la cheminée pour indiquer le résultat (noir pour l’absence de décision et blanc pour montrer qu’un pape a été choisi), et le balayage de la chapelle Sixtine pour les appareils d’écoute.
Mais, dans ce film, le conclave, présenté uniquement comme un évènement politique, n’a pas la profondeur spirituelle qui aurait pu hisser l’histoire au-delà du simple suspense. Il faut lire le roman pour descendre dans les profondeurs psychologiques de chaque cardinal. Le film ne donne que les grandes lignes, souvent simplifiées, alors que le roman permet d’entrer dans le for interne des personnages. Le film comporte peu de discours religieux pertinents ou de conversations profondes sur l’interprétation de la liturgie. Edward Berger semble peu intéressé par la religion catholique, ses spécificités, son administration, les débats internes qui la rendent contemporaines et vivante. Quand des cardinaux évoquent leurs difficultés face à la prière, leurs doutes,…le film n’apporte aucun approfondissement à ces réflexions.
Avec une mise en scène remarquable et une reconstitution parfaite et très convaincante, le réalisateur Edward Berger réussit à nous transporter dans ce lieu mystérieux, feutré, loin du regard. Pas de flash-back, l’ordre chronologique des faits est respecté, et permet aux spectateurs de bien suivre et de comprendre le protocole du Conclave du début à la fin. Les contres plongés nous font embrasser d’un seul regard l’immensité de la salle, les plans rapprochés des cardinaux accentuent l’impression d’être au sein même de cette cérémonie en huit clos. Il y a quelques plans sublimes : ainsi la vitre de la Chapelle Sixtine qui explose, un défilé de religieuses qui accourent place Saint-Pierre, ne laissant voir que leurs parapluies, …
Dans l’impossibilité de tourner au Vatican, tous les lieux où se déroule l’action de Conclave ont été reconstitués en studio à Cinecitta, à Rome.. L’ensemble n’en donne pas moins lieu à des décors d’une très grande beauté évocatrice de la pompe vaticane. Les costumes, les décors sont magnifiques. La photo est splendide entre les fresques de la chapelle Sixtine (les séquences de vote dans la reconstruction de la Chapelle Sixtine sont remarquables), la coupole de la basilique et les colonnes du Vatican. La musique de Volker Bertelmann sert à merveille la tension narrative grâce à une musique dominée par les instruments à corde.
Le film est remarquablement porté par Ralph Fiennes, dont la performance incarne l’intelligence et la moralité du cardinal Lawrence, Stanley Tucci, John Lithgow, Sergio Castellitto. Quant à Isabella Rossellini, qui joue le rôle de Sœur Agnès, elle est saisissante, notamment lorsque, exposée à l’impact majeur de la politique du Vatican, elle décide de se manifester. Elle fait de son mieux pour que l’élection soit juste et équitable, mais aussi pieuse qu’elle puisse être, mais elle n’est qu’ une membre fondamentalement impuissante de la Curie romaine.
Au-delà de l’intrigue politique, le film soulève des questions sur la place de l’Église dans le monde moderne, les luttes de pouvoir au sein de l’institution et les défis auxquels fait face le catholicisme contemporain. En explorant les coulisses de cette élection, Conclave est une exploration sur la foi, le doute, l’ambition et les compromis moraux dans un monde en mutation, mais aussi sur l’homosexualité, la place de la femme, l’Islam et les autres religions.
Signalons que le cinéaste insiste pour dire qu’il ne veut pas faire passer de «messages» sur l’état du monde avec son film: « chacun se fera sa propre opinion. Je veux laisser l’interprétation ouverte au public, sans lui dire quoi penser.»
Ce film semble être le grand favori aux oscars 2025.
EN COMPLÉMENT
A la fin de Conclave, conformément à l’affirmation précédente du cardinal Lawrence selon laquelle tout être humain a des défauts, la fin de Conclave montre que le cardinal Benitez a également un secret qui pourrait ébranler les fondations mêmes de l’Église du Vatican s’il était révélé. Lawrence découvre que le pape défunt avait organisé le voyage de Benitez dans une clinique médicale en Suisse afin qu’il subisse une hystérectomie par laparoscopie.
A la fin de Conclave, en effet, le cardinal Benitez est intersexué, puisqu’il est né avec un utérus et des ovaires, en plus des organes reproducteurs masculins habituels. C’est en raison de son apparence physique, et peut-être aussi de l’idée qu’il se faisait de lui-même, qu’il a été élevé comme un homme, mais les traditionalistes peuvent très bien prétendre qu’il est une femme physiquement parce que son corps ne suit pas les conventions habituelles de l’identité sexuelle.
Benitez l’avait découvert à l’âge adulte, alors qu’il était soigné pour une appendicite, et le pape défunt en avait également été informé. Il semble que le pape défunt l’ait secrètement choisi pour être son successeur et qu’il se soit arrangé pour que Benitez se rende en Suisse et qu’il se fasse retirer les organes reproducteurs féminins de son corps.
Cependant, à la fin de Conclave, Benitez a refusé de changer l’œuvre de Dieu et de s’accepter tel que Dieu l’avait fait et a annulé le rendez-vous. Ainsi, bien que le cardinal Benitez exprime l’opinion de l’Église sur l’avortement ou l’euthanasie, affirmant qu’il ne faut pas jouer avec l’œuvre de Dieu, le fait qu’il soit intersexué conduirait certainement l’Église à un effondrement, car personne d’autre qu’un homme physique n’est autorisé à être pape.
Finalement, à la fin de Conclave, Lawrence décide de n’en parler à personne.
EXTRAITS DE PROPOS DU REALISATEUR
«Je voulais une fin surprenante, qui laisse encore sur un doute, sans prendre parti pour un camp ou l’autre. Mais j’ose croire que le futur peut être différent du passé…»
«Benitez deviendra le premier pape né avec l’anatomie à la fois d’un homme et d’une femme –À l’époque, cela l’a amené à se débattre avec sa foi et son identité, . Et pourtant, l’homme qui deviendra le prochain pape est rempli de foi, même si son existence contredit la règle et la lettre associées à la loi papale. Pourtant, en fin de compte, le cardinal Lawrence choisit de garder le secret du pape Innocent et de le voir tel que Dieu l’a créé.
«La fin surprenante vise à mettre à l’épreuve la conviction du protagoniste Lawrence Nous savons que le pape avait des aspirations secrètes pour l’avenir de l’Église. Et nous savons que Lawrence les a soutenues dans une certaine mesure. La révélation du cardinal Benitez choque Lawrence, car il réalise que cette information, qui ne peut pas être cachée et qui sera révélée, mettra également à l’épreuve l’engagement total de l’Église à mettre en pratique ce qu’elle prêche. Il craint que cela ne détruise la papauté, mais comme dans le film, il accepte que l’épreuve sera nécessaire».
«Ces contradictions, tant au niveau du genre que des croyances, m’ont séduites. Je pense qu’en fin de compte, Lawrence reconnaît que la bonne personne devient pape Parce que c’est une personne qui est pure, qui croit encore… et je pense que c’est de cela qu’il s’agit davantage. Pour garder la pureté, l’innocence de votre véritable croyance. Peu importe que vous soyez cardinal, cinéaste, journaliste ou ingénieur.»
« Ce film parle de la plus ancienne institution patriarcale du monde, représentant de nombreuses autres institutions patriarcales dans le monde ». « Et à la fin du film, il y a une fissure dans cette institution, une fissure peut-être dans la féminité, n’est-ce pas ? C’est une fissure à travers laquelle une lumière peut briller, une lumière directrice pour l’avenir, peut-être. Et l’avenir est un monde où peut-être les deux peuvent exister ?»
«Je soutiens l’importance de nos institutions, même si je fais allusion à la nécessité d’une modernisation bien plus grande. «Je crois personnellement que si nous n’avions pas la foi, quelle qu’elle soit, si nous n’avions pas de mosquées, d’églises, de synagogues ou de temples… qu’aurions-nous ? Il n’y aurait ni identité, ni histoire, ni culture. Tant de choses sont apportées par ces institutions. Je pense donc qu’ils constituent un pilier très important de notre société».
«Une fois ce conclave terminé, les volets s’ouvrent et Lawrence ouvre la fenêtre et laisse entrer l’air, le soleil et la vie, et il entend ce rire féminin de ces trois religieuses. D’une certaine manière, c’est l’avenir et cela lui fait sourire. C’est la promesse d’un avenir plus égalitaire avec un pape qui pourrait offrir une certaine compréhension à tous, quel que soit leur genre ou leur sexe».
«La fin subvertit également à sa manière un film souvent défini par son sentiment de doute. N’est-ce pas notre protagoniste qui a prononcé un sermon prémonitoire sur l’importance du doute chez un pontife ? Et pourtant, l’homme qui deviendra le prochain pape est rempli de foi, même si son existence contredit la règle et la lettre associées à la loi papale.»
Mais « Conclave » fait déjà face à des critiques de la part de certains membres de l’Église. L’évêque Robert Barron, fondateur du ministère catholique des médias Word on Fire et l’un des catholiques les plus suivis au monde sur les réseaux sociaux, a dit à ses abonnés sur X que le film dépeint injustement la hiérarchie de l’Église comme un « foyer d’ambition, de corruption et d’égoïsme désespéré,« fuir cela aussi vite que possible ». Le film envoie un message selon lequel la seule façon d’avancer pour l’Église est d’adopter « les mots à la mode progressistes de diversité, d’inclusion, d’indifférence à la doctrine ».
Steven P. Millies, directeur du Centre Bernardin de l’Union théologique catholique, un collège théologique de Chicago, a déclaré que la description du processus dans le film est confirmée par les rapports des cardinaux selon lesquels les conclaves sont un exercice de « construction prudente de coalition » alors qu’ils évaluent l’avenir de l’Église. « Un conclave est un événement politique – c’est une réflexion réfléchie, voire même une prière, sur l’avenir d’une communauté », a-t-il déclaré à CNN.
Philippe Cabrol
#analysedefilms #conclave #RalphFiennes #ralphfiennes