Timbuktu
Fiche technique :
Réalisateur : Abderrahmane Sissako
Scénario : Abderrahmane Sissako et Kessen Tall
Acteurs : Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri, Fatoumata Diawara
Sortie française : 10 décembre 2014
Prix : prix du jury œcuménique du festival de Cannes en 2014, sept césars en 2015 dont meilleur film et meilleur réalisateur.
Avec Timbuktu (c’est l’orthographe tamasheq : langue touareg qui a été utilisée pour le titre de ce film), le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako propose un plaidoyer contre l’obscurantisme religieux. En avril 2012, la ville de Tombouctou, surnommée « La ville aux 333 saints » ou encore la « Perle du désert » tombait aux mains des djihadistes, qui soumirent la population à la loi islamique, jusqu’à l’intervention des militaires français et maliens, en janvier 2013. En reconstituant cette occupation, Sissako nous offre une oeuvre de réflexion et de courage et très symbolique
Le film, qui se déroule dans la région du Nord Mali, s’ouvre sur un plan de gazelle qui s’enfuit, car apparaît une jeep avec des djihadistes, joyeux, bruyants, brandissant leurs kalachnikovs pour jouer à la tuer. Les djihadistes se sont emparés du pouvoir et sèment la terreur dans la ville de Tombouctou en instaurant de nouvelles lois. Ils interdissent la musique, les jeux, les cigarettes, procèdent à des mariages forcés, persécutent les femmes en les obligeant à porter le voile, des gants et des chaussettes. Les femmes tentent de résister avec dignité. Lors de déplacements à moto, ils aiment à rappeler à l’aide d’un mégaphone les « règles » aux habitants et les sanctions qui les accompagneraient si elles n’étaient pas respectées. Des tribunaux sont improvisés et rendent chaque jour des sentences absurdes et tragiques. Dans les environs désertiques de Tombouctou, Kidane, un éleveur touareg, vit tranquillement et en paix avec son épouse Satima, sa fille Toya et Issan, un jeune berger qui garde le troupeau de Kidane. Kidane et sa famille semblent un temps épargnés par le chaos de Tombouctou. Mais leur sort bascule le jour où, après la mort d’une de ses vaches abattue par un pêcheur, Kidane tue accidentellement ce dernier. Des djihadistes viennent arrêter Kidane et organisent son procès où il est condamné à donner quarante vaches à la famille du pêcheur. Ne pouvant pas donner quarante vaches, il est condamné à mort. Il est finalement amené dans une sorte de terrain vague à l’extérieur de la ville où les villageois sont réunis.Sa femme, tenue dans l’ignorance du sort de son mari, est amenée sur les lieux de l’exécution par un motocycliste.Lorsque Satima, se précipite vers Kidane, ils sont tous deux abattus par les djihadistes, qui prennent ensuite en chasse le motard. En parallèle, on assiste aux courses du porteur d’eau en fuite, de Toya et d’Issan dans les dunes, et d’une gazelle rappelant celle des premières images du film.
Abderrahmane Sissako a choisi la fiction pour exprimer son point de vue, et délivrer un message universel sur la lutte contre l’obscurantisme et la barbarie. Il raconte l’enfer quotidien d’une population prise en otage par des terroristes au nom de la religion. A propos de son film, dans un Interview pour Studio Ciné Live, Sissako explique : « À mes yeux, le rôle du cinéma n’est pas de dire les choses mais de les faire vivre. De créer une émotion qui n’a de sens que si le spectateur s’en empare. Mon film raconte trois choses : les interdits, la justice, le rapport à la femme ». Avec Timbuktu le spectateur découvre en même temps, la vie pauvre mais heureuse des différentes ethnies maliennes et l’attitude d’islamistes empreints de bêtises, qui se ridiculisent et qui font le contraire de ce qu’ils prêchent : ils entrent dans la mosquée en armes, pataugas et baskets (ils seront chassés par l’imam : « Ici à Tombouctou, celui qui se consacre à la religion le fait avec sa tête et non avec les armes. »), un djihadiste fume en cachette et séduit une femme mariée, le groupe de djihadistes français, qui interdit la pratique du foot, se disputent sur Zidane ou Messi. Les victimes sont montrées avec grandeur : une vendeuse de poisson, qui a déjà accepté de mettre le voile, refuse de porter des gants, et tend ses deux bras, à titre de provocation, au soldat afin qu’il les lui coupe ; lors de son châtiment pour avoir chanté, une femme se met de nouveau à chanter en signe de résistance lorsqu’elle reçoit ses coups de fouet; Zabou , un coq entre les bras, ose insulter les djihadistes et sort dans la rue habillée avec des couleurs chaudes et tête découverte, ou encore la femme de Kidane tenant tête à un djihadiste quand celui-ci demande que sa fille se couvre les cheveux. Deux scènes sontfortement symboliques dans le film : un match de football sans ballon et la soirée autour d’une guitare. A propos de la scène du match de foot, le réalisateur dit « Dans Timbuktu, j’ai imaginé ce match de football sans ballon comme un ballet, pour tenter de matérialiser l’interdit. Mais quand j’ai écrit cette scène, je ne pensais pas qu’elle mènerait aussi loin. J’ai tourné avec deux caméras une sur travelling, une autre pour les gros plans de détails et j’ai tout de suite senti la magie poétique qui se déployait sous mes yeux. Aux acteurs, je n’ai donné aucune indication. Quand l’entraîneur a sifflé le début du match, ils ont vraiment joué ensemble. Sans balle. Pourtant, ils se faisaient des passes et tiraient au but. C’était une véritable danse ». Un groupe d’amis, dans la nuit, chantent et font de la musique. La scène prend une valeur exemplaire : gratter une guitare, c’est braver l’interdit de la loi islamique. Fredonner une chanson, c’est un cri d’indépendance.
Le réalisateur fait preuve d’une grande sensibilité Toutes les scènes sont amenées avec une extrême pudeur et de façon intime. Sissako s’est refusé à faire un film violent contre la violence des djihadistes pour privilégier un récit lumineux, qui célèbre la résistance et le courage de femmes et d’hommes qui osent chanter alors que d’autres s’engagent dans la violence.
Pistes pédagogiques
1- Recherchez la distinction entre islam et islamisme djihadiste. Qu’est-ce que la charia ? Quelles scènes du film illustrent la volonté des islamistes d’une application forte des préceptes religieux ?
2- Comment le réalisateur présente -t-il les incohérences des djihadistes qui veulent faire respecter aux autres des règles strictes qu’ils sont eux-mêmes incapables d’appliquer ?
3- A partir d’exemples et de scènes tirés du film, montrez les atteintes aux Droits de l’Homme.
4- Analyser comment le réalisateur humanise ses personnages, vous pouvez prendre parmi les personnages suivants : Kidane, Zabou, la poissonnière, la chanteuse, le porteur d’eau.
Philippe Cabrol