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Les Bonnes étoiles

Les Bonnes étoiles de Hirokazu Kore-eda

Quatre ans après avoir reçu la palme d’or pour son très beau film : Une affaire de famille, Hirokazu Kore-eda vient de recevoir au 75ieme Festival de Cannes, le prix du jury œcuménique pour « Les Bonnes étoiles ». L’acteur principal Song Kang-ho y a été couronné du prix du meilleur acteur.

Les Bonnes étoiles est le second film de Hirokazu Kore-eda qui a été tourné hors du Japon, le tournage a eu lieu en Corée du Sud. Le cinéaste n’abandonne pas le thème central de toute sa filmographie : la famille.

Le film débute par une scène très forte et surprenante: sous la pluie, une jeune fille se dirige vers une église à Busan. Elle dépose l’enfant devant une baby boxe, littéralement boite à bébé, ces boites qui permettent d’abandonner un enfant de manière anonyme. Ce dispositif existe au Japon et en Corée où il est devenu un phénomène en plein essor depuis le durcissement des lois d’adoption en 2014 et, Hirokazu Kore-eda l’a découvert il y a une dizaine d’années en préparant son film Tel père, tel fils.

Le bébé est récupéré illégalement par deux hommes, bien décidés à lui trouver une nouvelle famille. Lors d’un périple insolite et inattendu entre Busan et Séoul, la vente du bébé va se transformer en voyage, dans un van en mauvais état. Ce van va devenir l’occasion de rapprochement, de complicité, de liens de solidarité et d’amitié entre quatre personnages: les deux revendeurs d’enfants, la jeune maman, prostituée et meurtrière, qui fait alliance avec eux et un petit orphelin devenu passager clandestin. Les liens se nouent au fur et à mesure que tous apprennent à se connaître et dévoilent leurs blessures intimes. Ces personnages illustrant chacun un rapport à la filiation, nous pouvons à juste titre nous demander si nous n’assistons pas à la «reconstruction» d’une forme de famille autour de ce bébé abandonné. De toute façon, le destin de toutes les personnes qui rencontreront cet enfant sera profondément changé.

Dans « Les Bonnes étoiles », l’abandon occupe une place centrale, pensons à celui de Dong-soo abandonné à la naissance et qui a refusé l’adoption dans l’espoir de retrouver sa mère, celui de So-young et de la culpabilité qu’elle doit porter face à la nécessité de confier son fils à d’autres personnes. Hirokazu Kore-eda renoue dans « Les Bonnes étoiles » avec le thème de l’adoption, la filiation, colonne vertébrale de sa filmographie. Il esquisse une réflexion sur les familles recomposées et l’ambivalence de la parentalité dans la société moderne.

Le cinéma de Hirokazu Kore-eda s’intéresse depuis longtemps à la famille d’abord comme cellule sociale. En effet la famille représente pour lui une source inépuisable d’inspiration. Le réalisateur aime analyser les trajectoires de ses personnages pour organiser leur monde afin de trouver des lieux, des espaces et des temps de sérénité au milieu du chaos des grandes métropoles. Qu’est-ce qu’une famille finalement, nous demande le cinéaste. Pour lui, il s’agit d’individus réunis sous un même toit qui arrivent difficilement à vivre ensemble. Appartenir à une même famille signifie-t-il toujours être du même sang ? De fait, il filme la complexité des liens, du sang ou non, qui unissent les membres d’une famille. Décortiquer subtilement les liens familiaux et leurs carences est la spécialité de ce cinéaste. Il puise son inspiration dans sa propre histoire. Durant son enfance, son père s’adonne aux jeux d’argent et ne trouve pas un travail stable. Il disparaît régulièrement avec son salaire, laissant sa famille dans la crainte d’un départ définitif. Sa mère assume toutes les responsabilités. Hirokazu Kore-eda n’a qu’une peur : qu’elle les abandonne à son tour. Il porte cette angoisse à l’écran.

Le réalisateur filme avec une infinie tendresse et une profonde humanité ces êtres qui sont quelque part perdus et qui sont en rupture avec les convenances de la société coréenne. Il porte sur chacun d’eux un regard bienveillant et explore la complexité de leurs sentiments. Beaucoup d’émotions sont présentes dans ce film, certainement une des plus intenses et la scène dans une chambre d’hôtel, où chaque personnage se remercie d’être né. « Je voulais que le film puisse clairement signifier que chaque naissance compte, que chaque vie a sa place » explique le réalisateur.

Pour ce film, « j’ai rencontré beaucoup de gens, des gens abandonnés dans des boites à bébés, j’ai visité des orphelinats… La question qui les hantait: est-ce que leur vie avait une valeur, est-ce qu’il avait bien fait de venir au monde ? », raconte Kore-eda, qui a souhaité apporter « un regard différent » sur les femmes abandonnant leur enfant.

Comme dans tous les films de Kore-eda, l’émotion est contenue. Avec un sujet décoiffant, Hirokazu Kore-eda réalise un magnifique récit social touchant et nous développe sa foi dans la capacité de l’être humain à rencontrer l’autre et à nouer d’autres liens que ceux du sang. Cette œuvre magnifique nous donne «des ailes vers les étoiles».

Le jury œcuménique en décernant son prix au film « Les Bonnes étoiles » a déclaré: «Le film montre de façon très intime comment une famille peut exister sans les liens du sang. Les vies et les âmes sont protégées dans un environnement sécurisant créé par trois adultes et un garçon orphelin autour du bébé, malgré le passé difficile vécu par les protagonistes. Tous doivent affronter leur culpabilité avec toute leur vulnérabilité. Lors d’une conversation touchante entre deux adultes, dont l’un a été abandonné à la naissance et l’autre ayant abandonné son enfant, se dessine une forme nouvelle de « pardon par procuration ».

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr