Le Livre des solutions
Le Livre des solutions : anti-dépresseurs poétique made in Gondry
Dans une salle obscure qui riait de bon cœur, au festival de Cannes 2023, Le livre des solutions, sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, nous offrait des répliques prochainement cultes. Un film dans lequel Pierre Niney joue un avatar de Gondry dans ce 8 1/2 (référence au film de Federico Fellini)sous forme de « pochade » comique et délirante.
«Si le réalisateur n’a pas le dernier mot sur le montage de son film, il a tout perdu», dit David Lynch dans une scène du documentaire Lynch/Oz (film remarquable, à voir). C’est exactement ce qu’est en train de comprendre Marc, dans Le livre des solutions, quand ses producteurs lui demandent de corriger sa nouvelle œuvre, à laquelle personne ne comprend rien. Pour leur tenir tête, il organise une fuite. En effet, puisque sa boite de production menace de récupérer le montage de son dernier film, Marc kidnappe les rushs et s’enfuit dans un petit village des Cévennes avec sa bande de proches collaborateurs. Là-bas, accueillie par sa tante Denise, l’équipe tente autant de finaliser le long métrage que de garder l’attention de Marc dont la créativité se manifeste par un million d’idées qui le plongent dans un drôle de chaos.
Marc se lance alors dans l’écriture du livre des solutions, un guide de conseils pratiques qui pourrait bien être la solution à tous ses problèmes.
Cependant cette fuite raconte moins un mouvement vers l’avant qu’un mur contre lequel il bute. Accablé par le doute, refusant de faire face à sa propre création, avec une envie irrémédiable de se terrer tout en débordant d’idées et en ne sachant pas les canaliser, Marc est cependant un réalisateur aussi créatif qu’hyperactif.
Le livre des solutions du titre est un volume aux pages blanches que Marc conservait dans un tiroir depuis longtemps sans y avoir encore rien inscrit. Pris d’une inspiration, il considère que c’est le bon moment pour l’inaugurer. Ainsi, il y écrit progressivement les principes de base devant guider son comportement et son attitude générale. Le côté amusant, c’est qu’il s’agit de préceptes si simples à énoncer qu’ils relèvent quasiment de la méthode Coué.
Cette angoisse est un moteur de comédie constant, où la moindre idée farfelue ou brillante du réalisateur tire un nouveau fil et ouvre une étendue de situations, car Marc veut terminer son film et cela l’obsède sans arrêt. Aucun ordre cohérent dans les actions de Marc : réveil en pleine nuit de ses collaborateurs, demandes improbables, heures de travail dérégulées, tout cela se succède sur un mode humoristique en crescendo autour de cet « hyperactif » sympathique, cet «homme-enfant» injuste, égoïste, impulsif et incapable de s’excuser.
Marc est insupportable : il n’écoute pas quand on lui parle, crie sur ses collaborateurs, réveille sa productrice en pleine nuit avec des demandes farfelues et ne comprend pas pourquoi le monde entier a l’air de se liguer contre lui. Marc est insupportable, quand il fait ses crises et se fout du ressenti des autres, ou pire quand il s’excuse sans en penser un traître mot, comme un enfant qui ne le fait que pour obtenir encore quelque chose de plus.
Alors pourquoi prend-on autant plaisir à suivre Marc partout où il lui semble bon de se rendre ? Difficile de ne pas lui résister quand, pour faire plaisir à sa monteuse préférée et un peu aussi pour se faire pardonner de tout ce qu’il lui fait subir, il aménage dans une vieille estafette un « camiontage», ( on pense aux inventions à la Boris Vian, le « camiontage » rappellant la logique du « pianocktail ») autrement dit une unité de montage qu’on peut contrôler au volant!
Pour rendre digne d’intérêt Marc, Gondry utilise humour, inventions absurdes, stop motion pour le plaisir, la poésie et l’humour. Le livre des solutions joue constamment la carte du second degré. Marc est un être névrosé et égocentrique, plus ou moins bipolaire, qui dépasse en ce sens tous les personnages incarnés par Woody Allen dans ses films. Nous retrouvons dans Le livre des solutions le cinéma bricolé de Michel Gondry qui s’affirme comme un rempart face à l’uniformisation et qui est signe d’une garantie d’indépendance.
Petite lucarne ouverte sur l’esprit d’un hypercréatif et en fil rouge de ce film inventif et drôle, Gondry fait l’éloge de l’équipe comme pilier protégeant un projet créatif. Mais ce film raconte aussi la violence que peut infliger un metteur en scène à son équipe, cinéaste-vampire et tellement inapte au monde concret qu’il ne réalise pas que tout cela dépasse les bornes.
« La fiction permet de créer un monde dans lequel on aurait aimé vivre et, c’est vrai, de rester avec les gens qu’on aime. C’est aussi pour cela que je n’utilise jamais mes films pour régler mes comptes, mais, au contraire, j’essaie d’être tendre envers mes personnages, et je me défoule sur Marc, qui me représente », déclare ainsi le réalisateur dans le dossier de presse.
Ode jubilatoire au « do it yourself», Le livre des solutions déborde d’énergie et d’invention.
Philippe Cabrol