
Vivre (Living)
Vivre (Living) d’ Oliver Hermanus
Genre : drame ; Nationalité : anglaise
Distribution : Bill Nighy, Aimee Lou Wood, Alex Sharp, Tom Burke
Durée : 1h47 mn ; Sortie : 28 décembre 2022
En 1953, dans le Londres de l’Après- Guerre, Mr Williams, Chef de bureau à la mairie de Londres, homme silencieux et méticuleux, dirige le bureau des travaux publics. Il mène une vie de routine. Apprenant qu’il est atteint d’une maladie grave, réalise la stérilité de sa vie. Il va s’interroger sur sa vie et sortir à sa manière de son banal quotidien…
Cette fable humaniste et bouleversante est une relecture d’un chef-d’œuvre de Kurosawa datant de 1952. C’est au célèbre écrivain nippo-britannique nobélisé Kasuo Ishiguro que l’on doit l’idée de ce remake. Oser un remake du film d’Akira Kurosawa, n’était pas chose facile, pour aborder cette histoire universelle, initialement inspirée de l’œuvre de Tolstoi La mort d’Ivan Illitch, car le film est considéré par de nombreux cinéphiles comme un chef-d’œuvre, à la fois par sa simplicité narrative, par la profondeur des sentiments évoqués et par sa réalisation. Hermanus reste très fidèle au scénario original et joue tout au long du film la carte de l’ambiance des mélodrames de Douglas Sirk. Le réalisateur transpose ainsi l’histoire dans le Londres de la même époque. Il établit aussi des liens intéressants entre la reconstruction du Japon après la Seconde Guerre mondiale et la situation difficile de la Grande-Bretagne qui panse ses plaies.
La séquence d’ouverture nous plonge dans le Londres de 1953, sur une tonalité d’archives technicolor où valsent chapeaux melons, parapluies et bus anglais plus rouges que jamais, contraste total avec l’univers en noir et blanc de Kurosawa.
Dès lors que Mr Williams apprend qu’il est atteint d’un cancer qui ne lui laisse que quelques mois à vivre, il perd ses repères et nous assistons à sa métamorphose. Il devient un homme mélancolique à la recherche du temps perdu. Après une phase de désespoir, il voit surgir en lui un élan de vie insoupçonné. Pour la première fois, le vieil homme ne vient pas travailler. Sa rencontre avec un écrivain digne d’ Hemingway, son coup de cœur platonique pour une jeune fille qui«rend tout joyeux», et un projet d’aire de jeux dans un quartier troué par les bombardements vont le réveiller et lui offrir des bonheurs de dernière minute…Il va ainsi se réveiller au monde et s’accrocher à ses derniers mois en concrétisant un projet plein de sens au service de la vraie reconstruction de son pays…et de lui-même.
Le parcours de Mr Williams est à la fois surprenant, divertissant et émouvant. Entre ses espérances, ses rencontres et tout ce qui le pousse à vivre ses derniers instants avec passion, on l’accompagne dans une véritable renaissance. L’intelligence du film c’est aussi de multiplier les points de vue : le sien, celui de sa famille, ceux de ses proches ou de ses collègues voire même des inconnus… On découvre le personnage sous toutes ses facettes, dans toutes ses vulnérabilités
Que ce soient les décors, la couleur, la lumière, la mise en valeur des personnages, ou le cadre ce film est fait pour le bonheur de nos yeux de spectateur.
Les questionnements existentiels, le thème du bilan de vie avant de mourir ont alimenté de nombreux films. Vivre, qui aurait pu être un mélodrame pathétique, est transformé en une œuvre d’espoir social doublé d’une critique politique : le film s’avère très moderne puisqu’il propose un regard profond sur le sens du travail et sur l’intégrité des hommes dans un système qui tend à broyer leur dignité et leur libre arbitre. Mais Vivre montre surtout qu’il n’est jamais trop tard pour construire et laisser de belles traces au service des autres. Cette version britannique de Vivre est tout simplement bouleversante. C’est un bijou d’émotion et de pudeur.
Philippe Cabrol