Login

Lost your password?
Don't have an account? Sign Up

La Mostra 2023 de Venise

Contexte 2023 :

Avec Cannes, le festival de Toronto et la Berlinale, la Mostra de Venise est l’un des plus grands festivals du cinéma au monde. Un rendez-vous qui sert de tremplin pour la course aux oscars. Pourtant cette édition a fait grincer les dents. Trois réalisateurs « annulés » ont été à l’honneur : Woody Allen, Roman Polanski et Luc Besson. Trois poids lourds accusés ou soupçonnés d’agressions sexuelles ou de viol. Aucun festival américain n’aurait osé les programmer.

Faut-il y voir un retour de bâton post Me Too ou une volonté de ne plus céder devant la culture de l’annulation et ses excès ? Des signaux plaident pour les deux possibilités.

Le contexte italien. Alors que la Mostra flambe, le cinéma italien a perdu de sa superbe. La faute à des décennies de sabotage, notamment sous le règne de Berlusconi qui a drastiquement réduit l’investissement de l’Etat dans l’industrie du 7eme art. Depuis les années 70, la part du cinéma italien dans les entrées en salles mondiales a été divisée par trois. L’âge d’or des Visconti, Rossellini, Pasolini et Fellini est révolu. De plus la politique culturelle de la première ministre inquiète. Le centre expérimental de cinématographie de Rome. Cette institution historique a été la première à en faire les frais. En quelques jours, au cœur de l’été, le gouvernement a évincé sa direction pour y placer ses partisans. Nanni Moretti, Paolo Sorrentino et plus de six cent artistes ont dénoncé ce coup de force. Si le directeur artistique de la Mostra ne rend des comptes qu’au conseil d’administration de la Biennale de Venise, l’institution a déjà défrayé la chronique pour ses génuflexions politiques.

Les choix de programmation. Jusqu’ à 20 réalisateurs pour une seule réalisatrice en 2018. Cette année sur 60 films, 13 films réalisés par des femmes. Depuis 2020, ce sont des réalisatrices qui ont remporté le précieux lion d’or.

Woody Allen

Douze ans après Minuit à Paris, Woody Allen revient dans la capitale française pour Coup de Chance, son nouveau film et premier tourné entièrement en français. Le long-métrage est attendu le 27 septembre au cinéma.

Woody Allen l’a maintes fois annoncé, cette 51e réalisation devrait être la dernière. À 87 ans, le cinéaste derrière Manhattan, Annie Hall ou encore Match Point veut prendre sa retraite, et vu la qualité de cet ultime film, on ne peut qu’en être rassuré. Car oui, Woody Allen a complètement raté ses adieux au cinéma. Coup de Chance serait un échec où tous les tics de réalisation d’Allen sont poussés à l’extrême, ce qui rapproche le film un peu trop de la parodie.

On y découvre la rencontre entre Fanny et Alain (Lou de Laâge et Niels Schneider), deux amis d’enfance qui se retrouvent par hasard dans les rues de Paris. S’en suit rapidement une liaison, sauf que Fanny est mariée à Jean (Melvil Poupaud), et que ce dernier se doute bien évidemment de quelque chose, et veut tirer la situation au clair. Un synopsis bien maigre quand on connaît l’imagination et la virtuosité des scénarios de Woody Allen. Mais de bons films aux histoires clichées, il y en a des tas, et ce n’est pas le cas de celui-ci, où l’exécution est elle aussi en peine.

Roman Polanski

Encore un film de Roman Polanski en tête d’affiche d’un grand festival de cinéma. Le dernier long métrage du cinéaste controversé a été projeté, en l’absence du réalisateur, samedi à la Mostra de Venise, où son producteur a brandi l’étendard de la « liberté » artistique. The Palace, tourné à Gstaad en Suisse, se veut une comédie à sketches dans un hôtel de luxe, le soir du Nouvel an 2000. Au générique, quelques noms connus, comme Fanny Ardant ou Mickey Rourke, mais aucune star en vogue.

The Palace entend rire à gros traits des excès de l’époque, avec une galerie de personnages outrés : oligarques russes, milliardaires insupportables, cliente nymphomane, plombier lubrique. Sans compter un chien, qui finira par s’accoupler avec un pingouin. Très loin des grands films de Polanski, auteur du Pianiste, sur la Shoah, ou du classique de l’horreur Rosemary’s Baby, cette comédie au budget de 21 millions d’euros a reçu un accueil glacial et embarrassé en projection de presse.

Une dimension symbolique forte

Si le cinéaste n’a pas fait le déplacement à Venise, cette projection dans le plus ancien et l’un des plus prestigieux festivals du monde avait pris une dimension symbolique forte. A 90 ans, il est devenu un symbole d’une certaine impunité pour les auteurs de violences sexuelles et l’un des artistes les plus contestés de l’ère Me Too. Il vit en Europe à l’abri de la justice américaine, qu’il fuit depuis plus de quarante ans après une condamnation pour des relations sexuelles illégales avec une mineure.

Persona non grata à Hollywood, Polanski a vu sa situation basculer en France depuis la polémique autour du César de la réalisation obtenu en 2020 pour J’accuse, alors qu’il était visé par de nouvelles accusations d’agressions sexuelles.

« Pas de jugement moral » pour le directeur de la Mostra

Interrogé par l’AFP sur cette invitation avant le début du festival, le directeur de la Mostra Alberto Barbera s’est défendu en estimant qu’il fallait faire « la distinction entre l’homme et l’artiste ». Samedi, le producteur italien du film, Luca Barbareschi, est passé à l’offensive. « Nous vivons dans le présent et, dans le présent, ce qui compte c’est la liberté. Il ne faut pas de jugement moral dans l’art, a-t-il déclaré en conférence de presse. La Mostra doit être un lieu d’expérimentation, de provocation et de liberté d’expression pour les artistes. »

Le dernier film de Polanski a été « dur » à produire, a souligné Luca Barbareschi. Selon le média professionnel Hollywood Reporter, The Palace a été vendu dans plusieurs pays, dont l’Italie, l’Espagne, Israël ou la Belgique. Mais pas en France ni aux Etats-Unis, a regretté le producteur, qui ne désespère pas d’y distribuer The Palace et rappelle que le film précédent, J’accuse, n’a pas pu sortir dans les pays anglo-saxons. Ces pays « doivent respecter les artistes comme le reste du monde », a-t-il lancé.

D’une manière générale, « je ne comprends pas pourquoi toutes les plateformes comme Paramount, Amazon, Studiocanal ou Netflix passent les films de Polanski tous les jours et font des millions avec, et pourquoi on ne pourrait pas produire un nouveau film de Polanski », a-t-il insisté.

Prix de la Mostra

C’est la consécration pour Yorgos Lanthimos. Avec Pauvres créatures, le réalisateur grec (The lobster, La Favorite), habitué des festivals, a remporté samedi le Lion d’Or à la Mostra de Venise. Cette 80e édition, marquée par la grève à Hollywood et l’invitation de cinéastes visés par le mouvement Me Too, se conclut également par un palmarès qui envoie un message de solidarité avec les migrants.

Le film est une sorte de Frankenstein au féminin, fantastique et baroque, en grande partie en noir et blanc. Parfois cru, Pauvres créatures est tout à la fois un divertissement et un message sur la façon dont les normes pèsent sur les femmes. La star américaine Emma Stone, qui produit aussi le film, y incarne une créature candide qui fait son éducation sentimentale et sexuelle. Elle n’a pas pu faire le déplacement à la Mostra en raison de la grève qui paralyse Hollywood.

Un palmarès avec un message politique

Dans une Italie dirigée par Giorgia Meloni, le jury présidé par Damien Chazelle (La-la-land, First Man) a également envoyé un message politique en décernant plusieurs prix à des films dénonçant le sort réservé aux migrants.

Grande voix du cinéma polonais, Agnieszka Holland a ainsi reçu le prix spécial du jury pour Green Border, qui montre le sort tragique de migrants originaires de Syrie, d’Afghanistan et d’Afrique, ballottés entre la Pologne et le Biélorussie en 2021, prisonniers d’un jeu diplomatique qui les dépasse.

Un jeune acteur sénégalais, Seydou Sarr, a reçu le prix du meilleur espoir pour son rôle de jeune migrant qui traverse au péril de sa vie l’Afrique et la Méditerranée pour rejoindre l’Italie, dans Moi, Capitaine de Matteo Garrone, film qui remporte aussi le Lion d’argent de la meilleure réalisation.

Côté interprètes, la Mostra a distingué deux Américains : Cailee Spaeny, 25 ans, pour son premier grand rôle, celui de l’épouse du « King », Priscilla Presley, dans le biopic Priscilla de Sofia Coppola, et Peter Sarsgaard, qui donne la réplique à Jessica Chastain, en homme souffrant de démence, dans Memory de Michel Franco.

Peter Sarsgaard en a profité pour dire son soutien à la grève et lancer une diatribe contre l’intelligence artificielle, dont scénaristes et acteurs demandent l’encadrement. « Si on perd cette bataille, notre industrie ne sera que la première de nombreuses autres à tomber », a-t-il prophétisé : la médecine ou la conduite de la guerre pourraient à leur tour être confiées à l’intelligence artificielle, ce qui « ouvre la voie à des atrocités »

Des invitations polémiques

Durant le festival, les mouvements féministes ont également cherché à donner de la voix, notamment via des collages dans la ville pour dénoncer les honneurs accordés par le plus ancien festival du monde à des artistes visés par le mouvement #MeToo : Luc Besson, contre lequel des accusations de viol ont été portées avant d’être définitivement écartées par la justice française cette année, Woody Allen et Roman Polanski.

Palmarès de la 80e Mostra de Venise

•Lion d’or du meilleur film : Pauvres créatures du réalisateur grec Yorgos Lanthimos

•Lion d’argent – Grand Prix du Jury : Aku wa sonzai shinai (Evil does not exist) de Ryusuke Hamaguchi (Japon)

•Lion d’argent de la meilleure réalisation : Matteo Garrone pour Moi, capitaine (Italie)

•Prix de la meilleure actrice : Cailee Spaeny pour son rôle dans Priscilla de Sofia Coppola

•Prix du meilleur acteur : Peter Sarsgaard pour son rôle dans Memory de Michel Franco

•Prix du meilleur scénario : Guillermo Calderon et Pablo Larrain pour El Conde de Pablo Larrain

•Prix spécial du jury : Zielona granica (Green Border) de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland

•Prix Marcello Mastroianni du jeune espoir : Seydou Sarr pour son rôle dans Moi, capitaine de Matteo Garrone

Avec The Killer, David Fincher remplit son contrat sur la Mostra

Le réalisateur de Seven et Zodiac remet en scène ses obsessions dans un exercice de style appliqué. Diffusion sur Netflix le 10 novembre.

Depuis le Lion d’or attribué à Roma d’Alfonso Cuaron en 2018, Netflix tente de rééditer la performance sur le Lido. À la différence de Cannes, Venise déroule le tapis rouge aux plateformes de streaming et cette année encore, Netflix a placé plusieurs longs-métrages en compétition. The Killer a été dévoilé en première mondiale dimanche sur la lagune. Fincher n’est pas n’importe qui pour la plateforme de Reed Hastings. Il a été le premier cinéaste prestigieux débauché pour créer la série House of cards. Il a ensuite signé Mank, film personnel en noir et blanc sur la genèse de Citizen Kane d’Orson Welles , d’après un scénario écrit par son propre père, Jack Fincher, grand journaliste (rédacteur en chef de Life Magazine) et fervent cinéphile, décédé en 2003.

Philippe Cabrol

Print Friendly, PDF & Email
https://chretiensetcultures.fr