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Marcello mio

De retour du Festival de Cannes, analyse du film : Marcello Mio

Marcello Mio de Christophe Honoré. France, 2h

Avec : Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve,Melvil Poupaud, Fabrice Luchini, , Benjamin Biolay, Nicole Garcia.

Sortie en salle le 22 mai 2024

En compétition officielle au Festival de Cannes 2024, le cinéaste français Christophe Honoré fait renaître Marcello Mastroianni à travers Chiara, sa fille, en pleine crise existentielle.

Ce film choral sur la célébrité, la filiation, le deuil, l’héritage et la disparition est en même temps un fabuleux hommage à Marcello Mastroianni, décédé en 1996, qui aurait 100 ans cette année. C’est également un hymne au 7eme art.

 Etre » fille de » n’est pas facile. Etre fille de deux légendes, Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni, l’est encore moins.

Ce film est l’histoire de leur fille qui s’appelle Chiara. Elle est actrice et le temps d’un été, perturbée dans sa propre vie, elle se raconte qu’elle devrait plutôt vivre la vie de son père. Dans sa pièce Le Ciel de Nantes, Christophe Honoré convoquait les fantômes de sa famille dans un récit qui exorcisait les traumas et les non-dits. Avec Marcello Mio, il offre le même dispositif à Chiara Mastroianni, avec laquelle il a déjà tourné 7 films. Hantée par le fantôme et la figure écrasante de son père, elle décide de s’effacer et de le laisser prendre toute la place. Chiara devient le divin Marcello sans savoir où elle va, comme si elle traversait le miroir, quittait les rails de la réalité, de la rationalité.

Le film nous dévoile l’amusant spectacle des réactions de l’entourage à cette échappée insensée. Face à cette surprenante transition, ses proches vont chacun réagir de manière différente. Croyant à une lubie passagère, sa mère, Catherine Deneuve, et son ancien compagnon, Benjamin Biolay, l’entourent de tendresse et de bienveillance. « Elle a besoin de son père », explique sa mère. « Ton père te manque », tente d’interpréter Benjamin Biolay. La perplexité bienveillante de Catherine Deneuve, Le flegme interrogatif de Benjamin Biolay, la colère de Melvil Poupaud, et la complicité inattendue et joyeuse de Fabrice Luchini qui s’engouffre avec joie dans ce nouvel horizon, qui va enfin pouvoir devenir l’ami de Marcello Mastroianni: tous ses proches trouvent cela étrange, mais finalement rentrent dans son délire. Christophe Honoré met en scène chacun dans son propre rôle, dans une histoire qui les concerne. Film de famille, tourné en famille, Marcello moi repose sur un esprit d’entre- soi et emprunte à l’histoire familiale Deneuve-Mastroianni.

Dès les premières images, on sait que Marcello Mio ne sera pas un biopic, mais un hommage déférent au  grand acteur disparu  que le cinéaste a découvert, étudiant, dans les œuvres de Fellini et une évocation « fantasmée » de l’acteur et de l’homme qu’il était. La grande force et la singularité du scénario de Christophe Honoré vient du fait que ce dernier l’a écrit d’un point de vue romanesque. Le cinéaste a recueilli des souvenirs concrets de Chiara Mastroianni et il les a retranscrits, puis reconstruits avec son imaginaire. En « fictionnant » ainsi la réalité, il a permis à Chiara de réaliser un de ses rêves : « jouer » à être son père. À travers ce portrait solaire d’une femme et d’une actrice en quête d’elle-même, Christophe Honoré traverse tout un pan de l’histoire de cinéma et revisite sa propre filmographie, notamment dans la partie parisienne et nocturne.

Le film s’ouvre sur une reproduction ridicule de la fameuse scène de la fontaine de Trevi (de La Dolce Vita film de Federico Fellini avec Marcello Mastroiani), avec une Chiara Mastroianni trempée et affublée d’une perruque blonde pour caricaturer Anita Ekberg. Rentrant chez elle et, dans le miroir, Chiara voit son visage se confondre avec celui de son père. Troublée, au point de perdre connaissance, elle en revêt l’iconique apparence et se présente à tous sous cette nouvelle identité. Privilégiant l’italien au français, elle décide de « se couler » dans les habits et la peau de son illustre père. Cheveux courts, lunettes d’homme, chapeau, moustache, Chiara va se glisser avec délice dans le costume de Marcello et la ressemblance est frappante

À la fin des essais, la réalisatrice lui lance  «Dans cette scène, j’aimerais que tu sois un peu moins Catherine et un peu plus Marcello… »  Et Fabrice Luchini dit à Chiara Mastroianni après une scène où l’actrice se voit violemment ramenée à son statut de « fille de » : « tout ce qui est bon en nous viendrait de l’héritage ». Le mot revient plusieurs fois au cœur de ce film.

Drôle d’abord, le récit devient vite plus intime, c’est une comédie nostalgique et poétique. Car en convoquant ce fantôme, Chiara réveille le passé, l’interroge et chaque personnage est alors confronté à sa propre mélancolie.

Comment continuer de vivre avec la mort d’un proche ? Comment redonner vie aux personnes disparues ? Comment ne pas oublier les visages des disparus qui nous étaient chers ? Comment faire le deuil ? Autant de questions existentielles que le cinéaste Christophe Honoré explore dans son œuvre depuis plus de vingt ans. Christophe Honoré n’a de cesse de convoquer les fantômes du passé. Mais avec ce film, ces questions vont à nouveau se poser avec une dimension cinématographique. Comment faire ressurgir le souvenir d’un être qui hante notre vie autant que la pellicule?

Les costumes de Chiara-Marcello changent également au fil des scènes pour reprendre plusieurs tenues emblématiques de son père, choisies avec soin pour faire écho à la situation, ainsi lors d’une émission télévisée en Italie, Chiara est vêtue comme son père dans Ginger et Fred, de la même manière, elle porte le costume blanc de Huit et Demi sur la plage en fin de film, lorsque la réalité rattrape la fiction et que les personnes dans les personnages se mettent à déborder du cadre, pour un final en fanfare.

Le cinéaste signe un hymne au septième art, dans ce qu’il peut avoir de poétique et vertigineux dans sa manière de gommer les frontières entre fiction et réalité. Traversé d’hommages au cinéma italien, Fellini en tête, le film est multi-référencé. Au-delà de l’hommage qu’il rend à l’interprète de La Dolce vita, d’Une journée particulière et autres chefs-d’œuvre, c’est le monde du cinéma et l’ensemble de ses acteurs qu’il fête avec une énergie joyeuse. Tout en jouant avec le fantôme de Marcello et de ses personnages, il ne perd jamais le fil de ce qui le meut : une déclaration d’amitié et d’admiration à Chiara Mastroianni. En résulte une troublante réflexion sur le cinéma, l’éternité et le mouvement.

Chiara Marcello Mastroianni est époustouflante, stupéfiante. Sa ressemblance avec son père est troublante. Catherine Deneuve qui joue Deneuve est épatante. Dans leurs propres rôles, Fabrice Luchini, Nicole Garcia, Benjamin Biolay et Melvil Poupaud sont parfaits. Tout au long du film Chiara Mastroianni offre au spectateur une puissante déclaration d’amour à Marcello sous l’œil charmant, espiègle et maternel de Catherine.

Philippe Cabrol

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