I’m your man
Fiche pédagogique du film : I’m Your Man (Ich bin dein Mensch)
Qu’est-ce que l’homme ?
Fiche technique :
Nationalité : Allemagne
Réalisation : Maria Schrader
Scénario : Maria Schrader et Jan Schomburg
Distribution: Maren Eggert, Dan Stevens, Sandra Hüller.
Durée : 1h45
Genre : Comédie romantique d’anticipation
Date de sortie : 2021
Récompenses : prix du meilleur film, de la meilleure réalisation et du meilleur scénario à la Deutscher Filmpreis.
Synopsis : Alma, une scientifique, se laisse convaincre de participer à un essai afin d’obtenir des fonds de recherche pour son travail. Pendant trois semaines, elle doit cohabiter avec Tom, un robot humanoïde.
QUESTIONS
À quelle date situeriez-vous le film ?
Quelle est la première scène ?
Alma est accueillie dans une discothèque assez chic, puis assise à la table de Tom : c’est une première rencontre. On comprend rapidement que Tom n’est pas un humain mais un robot et qu’Alma n’est pas là pour un rendez-vous galant, mais pour une expérience. Tom est longiligne, ses traits sont lisses, il est rasé de près. Son regard est bleu électrique, branché sur Alma. Perplexe, incrédule, Alma se laisse entraîner sur la piste de danse, remplie de couples, qui ne sont pas tous des humains. Outre les androïdes, l’entreprise fait appel à des hologrammes, moins coûteux pour peupler le bar et la piste de danse, explique la maîtresse de cérémonie.
Ce premier rendez-vous est-il réussi ?
Non, car Tom paraît ridicule à Alma lorsqu’il lui lance un compliment qu’elle juge ringard :« Tes yeux sont deux lacs alpins ». Tom affirme que Rilke est son poète préféré, ce qui en Allemagne est presque une blague. À la question d’Alma « Quel est le sens de la vie ? », il répond par un poncif : « Rendre le monde meilleur ». Puis le robot s’enraye et Tom bégaye : « Ich bin, Ich bin, Ich bin… ». Cette première présentation est gâchée par de petits défauts techniques, quoiqu’ils soient « rares avec ce modèle », dit la maîtresse de cérémonie à Alma. Ce premier rendez-vous est désastreux.
LES PERSONNAGES
ALMA
Est-elle la candidate idéale pour s’amouracher d’un robot ?
Alma Felser ne l’est pas vraiment. Renfrognée et pragmatique, elle ne cherche pas l’âme sœur. Jusqu’à l’arrivée de Tom, sa vie se résume à la recherche scientifique. L’héroïne semble d’abord terriblement sérieuse. Mais elle accepte de se mettre dans une situation cocasse.Elle a du mal à exprimer ses vrais désirs, en premier lieu vis-à-vis d’elle-même, mais elle sait ce dont elle ne veut pas : pas de petits-déjeuners sophistiqués, pas de rangement de ses livres par couleur sur ses étagères. Rapidement, elle fait comprendre à Tom qu’elle n’est pas intéressée par une relation et qu’elle ne fait que remplir sa mission de testeur de produits. Une tentative de médiation de la part de l’évaluatrice de la société qui fabrique les robots échoue, d’autant plus qu’Alma découvre par la suite qu’elle est également un robot.
Quel est le contexte de la vie d’Alma ?
Le film en dessine l’arrière-plan douloureux. Alma est une personne blessée et renfermée sur elle-même. C’est une femme seule, qui doit s’occuper d’un père qui perd son autonomie. Elle va subir un échec frontal dans son travail et elle tente de faire bonne figure face à son ex-compagnon qui a reconstruit sa vie.
TOM
Quelles attitudes trahissent la nature de robot de Tom ?
Il apparaît comme un peu raide, adoptant des gestes précis et calculés ou des positons stéréotypées qui trahissent les circuits imprimés qui programment ses attitudes. Il est d’une bonhomie figée. Programmé pour répondre à ce que 93% des femmes allemandes rêvent en termes de partenaires pour la vie, c’est un Don Juan de synthèse. Il doit incarner le partenaire parfait pour Alma. Grâce à son intelligence artificielle, il est programmé en fonction du caractère d’Alma et de ses besoins.
Il est capable de répondre à toutes les questions d’Alma en un temps record. Sa gaieté et sa prévenance sont peu naturelles. Il donne des conseils détaillés, prononce des phrases étranges, ce qui irrite Alma. Le fait que Tom nettoie son appartement sans qu’elle le lui demande et ses tentatives de créer des moments romantiques n’aident pas non plus.
Manifeste-t-il des capacités plus « humaines » ?
Il est capable de développer de l’empathie, de l’autocritique, un certain contrôle de soi. Il a la capacité d’apprendre et d’expérimenter. Il arrive même à manier le sarcasme et à jouer de sa propre nature d’automate. Il se satisfait de son « existence ». On le dirait presque capable de vivre.
Que pensez-vous du duo d’acteurs ?
Le film repose sur un duo d’acteurs ciselé.Le jeu de Dan Stevens et de Maren Eggert est chorégraphié autour de la question homme-machine.
Comment Dan Stevens incarne-t-il un humanoïde ?
Il travaille le geste au millimètre, avec minutie mais de façon non mécanique. Il cultive l’étrangeté d’un gentleman : avec ses vêtements sans âge et ses bonnes manières, il se montre plus exquis, plus soigné qu’un humain lambda. Il ressemble à Cary Grant ou à James Stewart.
Maria Schrader a choisi un comédien qui n’était pas très connu en Allemagne, pour que le public puisse croire à son personnage. Dan parle très bien allemand, tout en ayant une pointe d’accent anglais, ce qu’elle a trouvé intéressant. Elle a regardé des films dans lesquels il a joué et où il se fait passer à la perfection pour quelqu’un qu’il n’est pas. Un acteur qui joue un robot, lequel essaie de se rapprocher du comportement humain, c’est un défi. La réalisatrice a fait faire différentes prises dans lesquelles elle a demandé à Dan Stevens d’aller un peu plus vers la machine et à d’autres moments de revenir vers l’humain.
La palette du jeu de Maren Eggert, qui interprète Alma, est-elle différente ? Plus large ?
Maren Eggert déploie un tourbillon de sentiments, depuis l’agacement et la rébellion, jusqu’à l’écoute et la souffrance, révélant une palette de jeu large et nuancée. Elle reste sur le qui-vive, entre retenue et explosion, entre passivité et rejet d’une situation qui fait perdre la tête à son personnage. Elle se jette littéralement dans les scènes. Elle est imprévisible et peut passer instantanément de la comédie au drame.
LES RELATIONS ENTRE ALMA ET TOM
Comment évoluent-elles ?
Dans la rencontre entre Alma et Tom, rien ne tient de l’évidence. D’abord sceptique, Alma ne tarde pas à être flattée par les attentions de son petit ami fait de chair, mais aussi de boulons. Alma est plongée dans un conflit insurmontable entre le désir et la rationalité.
Ce personnage romantique éprouve des sentiments ambigus pour Tom. Troublée, elle se met à croire en la possibilité d’une vie commune avec Tom, programmé pour réaliser tous ses désirs et pour la connaître jusqu’au fond d’elle-même. L’évolution d’Alma illustre bien la tendance innée de l’être humain à anthropomorphiser les machines, à leur prêter des émotions et des intentions et à éprouver de l’empathie pour elles.
Les sentiments que Tom manifeste pour Alma sont-ils simplement dus aux algorithmes ou y a-t-il autre chose que de l’artificiel ?
L’androïde est introduit dans le récit comme tel, c’est-à-dire comme une machine. Plus les jours progressent, plus Tom semble pouvoir arriver à se développer une personnalité. Il est de plus en plus touchant à mesure que son intelligence artificielle se transforme en intelligence émotionnelle. Il est normal que le spectateur puisse éprouver le même inconfort qu’Alma pour cet objet étrange. Mais il nous arrive aussi d’oublier, comme Alma, que Tom n’est qu’une machine. Au cours de la fête chez Julian, elle lance à Roger, son collègue du musée qui palpe Tom et le traite comme un objet : « Quelle est la différence ? », en semblant affirmer qu’il n’y en a pas tant que cela. Tout humaine qu’elle est, l’archéologue finit par s’attacher lentement mais sûrement à ce robot si réaliste, ce qui provoque chez le spectateur un sentiment ambigu. Et peu à peu, la présence de Tom engage Alma dans une introspection. On finit par ne plus savoir qui du robot ou de l’être en chair et en os a le comportement le plus humain, dans la mauvaise humeur comme dans la tristesse ou la peur d’être abandonné.
La relation de Tom et d’’Alma est-elle crédible ?
Cette relation pourrait aussi bien être celle de deux humains. On a souvent l’impression que le duo est un couple qui apprend tout simplement à s’aimer. Le film dépeint les péripéties d’un duo bancal mais attachant. Le film interroge la possibilité d’une histoire d’amour entre une femme et un androïde, avec ses effets hautement perturbateurs. Là où I’m Your Man aurait pu tourner au manifeste anti-robot pour faire l’éloge inconditionnel de l’amour et du bonheur véritables entre de vraies personnes, il choisit l’humour.
Quand leur relation prend-elle un cours nouveau ?
Leur relation change quand Tom s’investit dans le domaine intellectuel d’Alma et lui révèle qu’une autre équipe, en Argentine, vient de publier sur le sujet qu’elle travaille avec son équipe depuis des années. Alma réagit violemment à cette déception et se soûle avant de provoquer sexuellement Tom qui décline poliment l’invitation parce qu’elle est ivre. Avec le temps, Tom, ou tout au moins son IA, s’adapte à Alma. Il n’essaie plus de lui plaire sans cesse.
Quand devient-elle plus personnelle ?
Le lendemain de cet épisode d’ivresse, Alma fait ses excuses à Tom, qui les accepte de bonne grâce. À partir de ce moment, leur relation devient plus « personnelle ». Alma, déstabilisée par son échec professionnel, se livre peu à peu à Tom. Elle l’emmène pour la visite hebdomadaire qu’elle fait à son père qui commence à perdre la tête. Lors d’une excursion à la campagne, ils se rapprochent et commencent, comme le suggère l’évaluatrice, à s’inventer un passé commun. Alma croise Julian qui l’invite à sa crémaillère, ainsi que Tom. Julian prend Tom pour le nouveau compagnon d’Alma. Lors de la soirée, Tom montre une perspicacité hors du commun face au malaise de la nouvelle compagne de Julian.
À partir de là, quelles sont les péripéties de leur relation ?
Blessée par la révélation de la grossesse de la compagne de Julian, Alma s’enfuit et Tom part à sa recherche. Tom et Alma se retrouvent au musée de Pergame, où elle travaille, lors d’une visite nocturne et clandestine qui les rapproche. Ils font l’amour. Tom demande à Alma de lui décrire le plaisir qu’elle vient d’éprouver. Un robot peut donner du plaisir sexuel mais est incapable d’en éprouver.
Le lendemain, Alma prend conscience de l’artificialité de la situation. « Je fais du théâtre. Mais il n’y a pas de public. Toute la salle est vide », dit-elle à Tom. Elle sait que ses paroles ne sont qu’un monologue. Elle met fin à l’expérience, renvoyant Tom à l’usine qui l’a programmé. Tom paraît déçu, voire désemparé : « Je pensais que chez vous l’amour n’avait pas de frontières. Je vais aller où, alors ? ». Sa tristesse nous émeut. Mais toujours d’égale humeur, il fait sa valise et s’en va. Quand l’évaluatrice -une robote envoyée par l’usine vient s’enquérir de la bonne marche de l’expérience, Alma se rend compte que Tom n’est pas retourné à l’usine. Après l’abandon de l’essai, Alma rédige un avis dans lequel elle se prononce contre les partenaires humanoïdes.
Elle part au Danemark à la recherche de Tom. Elle lui a raconté qu’elle y avait vécu son premier amour avec un garçon qui lui ressemblait et qui s’appelait Thomas. Il l’y a précédée et attendue plusieurs jours sur l’aire de jeu où l’adolescente rêvait au premier baiser. Le prénom Tom est comme par hasard le diminutif de « Thomas », qui signifie jumeau. Les derniers mots d’Alma et du film sont : « Et Thomas s’était volatilisé ».
I’m Your Man développe-t-il l’aspect technique de l’intrigue ?
Contrairement à ce que l’on peut observer dans les films de science-fiction avec humanoïdes, on ne verra ni laboratoire ni scientifique. I’m Your Man montre que les films européens peuvent aborder la science-fiction sobrement, sans pléthore d’effets spéciaux. On remarquera du reste que le robot est interprété de manière très convaincante par un humain.
LES THÈMES
Quelles sont les questions psychologiques, éthiques et philosophiques soulevées par le film ?
AMOUR, DÉSIR ET ALGORITHMES
La perfection est-elle réellement ce que nous recherchons ?
Le film examine l’hypothèse d’un être parfait, taillé sur mesure pour combler sa partenaire. Chercher un être parfait, c’est une chose. Vivre au quotidien avec lui, c’en est une autre. « Tu peux arrêter d’être irréprochable ? » demande Alma à Tom. La perfection n’est-elle pas quelque chose de terrifiant ? Quand on aime quelqu’un, on le prend comme il est. Le film souligne les limites de la prétendue perfection. Comme pour le manifester, dans une scène où Tom est attablé à un bar, deux jeunes regardent des vidéos d’epic fails (=ratages monumentaux) et s’amusent des imperfections de leurs semblables.
Les stéréotypes de la relation amoureuse
Rencontrer l’amour et avoir une vie heureuse relève d’une quête légitime. Le film explore de façon critique le fantasme de « l’homme idéal ». On s’amuse des clichés projetés sur le personnage féminin par ce supposé « homme idéal », notamment en termes de romantisme. L’expérience commence mal parce que l’entreprise a programmé le robot à partir de présupposés sur l’amour romantique : poésie, galanterie, bain au champagne, aux bougies et aux pétales de rose. Il est assez drôle de voir à quel point ces gestes dits « romantiques » fonctionnent à vide.
Même si les femmes rêvent d’un homme qui ne soit pas dominateur, la dynamique d’une relation, qu’elle soit amoureuse ou amicale, réside dans la confrontation avec une personne différente de soi, dont les besoins et les désirs peuvent entrer en conflit avec les nôtres. Ce sont justement ces conflits qui nous amènent à évoluer, à interroger nos propres besoins et nos propres désirs. Que reste-t-il de l’amour et du bonheur quand tous nos désirs peuvent être comblés ? Quoi de plus ennuyeux qu’un partenaire qui serait tout entier à notre écoute sans jamais manifester sa personnalité propre ?
Seriez-vous tentées ou tentés par un robot qui serait est à votre parfaite écoute, bienveillant, attaché à vous inconditionnellement, dans un monde où on est plus vite insulté ou klaxonné que gratifié ou remercié ?
L’amour est-il réductible à des algorithmes ?
Peut-on réduire au maximum, par le biais d’algorithmes, les incertitudes que le sentiment amoureux génère ? Nos préférences sentimentales peuvent-elles être gérées par des algorithmes ? De fait, la seule fonction de rendre l’autre heureux n’est pas suffisante. Le paradoxe des sentiments, le mystère du couple et ses défauts de fonctionnement demeurent. Le film fait réfléchir sur ce qui rend la relation amoureuse unique en son genre, si précieuse et si fragile.
À la fin du film, Alma évoque le garçon dont elle été amoureuse lorsqu’elle était adolescente et la part d’imagination qui entrait dans son sentiment. Avec le robot, il n’y a pas de déception mais pas de surprise. Il y a du bonheur mais pas de désir. Pour Alma, l’amour est indissociable de cette part d’imagination, de désir non assouvi. Elle sait qu’il n’y a rien à construire avec ce simili-partenaire : ils n’auront pas d’enfants, il ne vieillira pas avec elle. Derrière son apparence humanoïde, il s’agit juste d’une présence contre la solitude et d’un objet sexuel.
POSSESSION
Alma est-elle satisfaite à l’idée de posséder Tom ?
Elle ne l’est nullement, contrairement à un autre personnage du film, un vieil homme qui participe à l’étude et qui est heureux de vivre avec la jeune androïde programmée à son intention. Il était important pour la réalisatrice que la créature artificielle parfaite soit un homme et non une femme, comme c’est souvent le cas, comme dans la légende de Pygmalion -le sculpteur tombant amoureux de sa créature-, mais aussi dans Blade Runner (1982) de Ridley Scott ou Ex-Machina (2015) d’Alex Garland. Il ne s’agit pas simplement d’inverser les rôles-dans notre film, c’est le robot masculin qui est au service d’une humaine- mais de poser la question de la possession.
Le fait que Tom soit assujetti au service d’Alma déséquilibre-t-il la relation ?
La personne qui a été élevée de façon à trouver naturel qu’autrui soit à son service peut se satisfaire d’un ou d’une partenaire robotique. Mais celle qui a été élevée dans le souci de l’autre éprouvera une gêne intense à cette relation servile. Alma rejette initialement l’idée d’être en couple avec un être programmé pour la servir.
DES ROBOTS AIMABLES OU REDOUTABLES ?
La possibilité de l’attachement à une machine
Alma lance à Tom cette apostrophe : « Ne t’en fais pas si ton algorithme atteint ses limites : c’est humain. ». Ne serait-ce pas le fil rouge du film ? Au lendemain d’une soirée alcoolisée, au cours de laquelle Alma s’est mal comportée, l’humaine présente ses excuses au robot : « Je n’ai pas fait honneur à mon espèce », dit-elle avec ironie.À ce stade du scénario, le filmbascule, s’aventurant à la frontière de l’humain et de la machine. Alma peut-elle être touchée par l’amour de Tom ? Elle n’est pas dupe : il mettrait autant de zèle à séduire une autre femme s’il était « réinitialisé » pour une nouvelle rencontre. Mais les humains ne passent-ils pas aussi leur temps à se « réinitialiser », dans une certaine mesure ? Tom est-il si éloigné d’Alma ? Celle-ci imaginerait-elle sans mal se séparer de lui ? Maria Schrader explore la possibilité de l’attachement à une machine.
Une scène, tournée à la campagne, montre Tom au milieu de cerfs et de biches, dans une coexistence pseudo-pacifique. Les animaux ne sentent pas sa présence, puisqu’il ne dégage pas d’odeur humaine. « Ils ne me remarquent pas », explique Tom, qui sent un vide existentiel. La mélancolie du robot existe. S’il s’est inventé un passé avec Alma il sait que ses minuscules souvenirs peuvent être effacés d’un clic d’ordinateur. Alma elle-même se demande à quoi riment leurs discussions. S’adresse-t-elle réellement à quelqu’un ou parle-t-elle toute seule ?
Au cinéma, les robots sont souvent présentés comme un danger. Est-ce le cas dans le film ?
Non, Tom ne menace jamais l’humanité. L’intérêt du film est de ne pas tomber dans le cliché du robot dévastateur. Maria Schrader s’est intéressée aux récits où l’homme joue au démiurge en inventant un être humain artificiel, avec des résultats souvent tragiques : l’histoire de Prométhée, du mythe juif du Golem ou de Frankenstein. Elle a souhaité prendre le contre-pied de ces mythes et créer dans ce film des images qu’on n’a pas l’habitude de voir.
La peur des robots ne comporte-t-elle pas une dimension culturelle ?
Cette peur trouve ses racines dans la culture. L’imaginaire occidental s’est nourri du mythe de la créature qui échappe à son créateur. La culture japonaise n’a pas la même approche des robots : le robot est plutôt pensé comme un ami de l’homme. On peut expliquer cela par la tradition shintoïste, qui est une forme d’animisme : il n’y a pas de distinction catégorique entre les humains, les animaux et les objets. Ceux-ci, même les plus quotidiens, peuvent avoir une âme, ce qui détermine une tout autre attitude par rapport aux robots. Le film nous incite à dépasser la peur de la nouveauté pour réfléchir.
Devons-nous avoir peur de l’entrée de l’IA dans la vie affective ?
La réalisatrice allemande réveille nos questionnements autour de la création de robots humanoïdes et la possibilité qu’ils puissent apporter un jour une forme de soutien affectif.
Dans une interview au journal Le Monde, Maria Schrader indique qu’en écrivant le film avec Emma Braslavsky, elle a été confrontée à des questions théoriques auxquelles elle n’avait pas encore de réponse. « J’ai rencontré des scientifiques, je suis allée dans des labos, à Berlin, où des chercheurs développent l’intelligence artificielle. Tous ces experts me l’ont dit : des créatures comme Tom existeront un jour, mais on ne sait pas quand. » I’m Your Man ne s’inscrit pas dans le futur, mais dans un présent décalé, certains enjeux contemporains étant poussés à l’extrême. Dans le film, la société semble s’être résignée au fait que l’harmonie ne peut pas naître des seules relations humaines. L’intelligence artificielle est en train de s’étendre jusque dans la vie intime, venant au secours des personnes esseulées. Après les sites de rencontre et leurs algorithmes, les androïdes, d’apparence masculine ou féminine, font leur entrée sur le marché du couple. Les relations affectives sont regardées comme des objets de consommation comme les autres.
QU’EST-CE QUE L’HOMME ?
« Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? » Psaume 8, verset 5.
Qu’est-ce qui fait l’humanité d’une personne ? Quelle est cette frontière qui nous sépare des humanoïdes ?
Tom est un personnage sans arrière-pensées, sans ambition, sans jalousie. Il est capable de disserter d’un ton triste sur la mort et d’enchaîner une seconde plus tard en invitant Alma à danser avec un sourire, sans une once de mélancolie. L’intéressant est que dans ces cas-là, c’est plutôt l’homme qui s’adapte : il prend son parti des limites du robot.
Les algorithmes ont beau analyser nos habitudes et caractères, ils ne réussissent pas à reproduire la spontanéité ni le mystère de la personne humaine. Le film montre tout ce qui fait de l’être humain un être à part, que la machine pourra toujours imiter, mais sans spontanéité. Il montre le fossé qui sépare le robot de l’humain : le robot peut mener une conversation, détecter des expressions émotionnelles et adapter son comportement en conséquence. Il n’est pas doté du même panel d’émotions que les mortels. Il n’est pas doué de conscience, de liberté, ni d’ambition.
Sous couvert de comédie futuriste, le film aborde quelques graves questions existentielles et philosophiques invitant à réfléchir sur la possibilité de réduire les émotions humaines à des programmations. Dans le film, le robot nous renvoie à notre condition d’êtres construits, socialement et culturellement. En tant qu’êtres sociaux, pouvons-nous entrer dans une relation avec quelqu’un qui ne partage pas tout cela, et qui est meilleur que nous en tout ? Pouvons-nous entrer dans une relation avec quelqu’un qui n’est pas vraiment vivant ? Et dont le seul but, mécanique, est de nous rendre heureux ? Est-ce une personne meilleure, plus civilisée que nous, comme dans le film ?
Le film nous lance-t-il une invitation à devenir de meilleurs humains ?
Peut-être devrions-nous, comme Tom, faire preuve les uns envers les autres de plus d’attentions, de délicatesse et de serviabilité. Ce film dégage beaucoup d’humanité, comme si la présence des robots nous obligeait, nous les humains, à nous améliorer.
QUELS RISQUES POUR LA SOCIÉTÉ ?
Atomisation et contrôle
Le bonheur individuel est-il le seul horizon de nos sociétés ? Le film pointe le danger d’une société totalement individualiste, dans laquelle chaque individu s’enfermerait dans un face-à-face avec son ou ses robots. Si une machine satisfait toutes nos attentes, pourquoi vouloir côtoyer d’autres humains ? Cela serait une régression considérable en termes d’intelligence collective : c’est la confrontation avec l’autre qui nous fait réfléchir, qui nous permet d’évoluer. L’humain qui est repu, ne se remet pas en question, ne change pas, n’est pas capable d’endurer les conflits. La personne qui n’a plus de désirs ne développe plus ses capacités créatrices. Rendre un individu heureux, assouvir ses moindres désirs, c’est aussi un moyen de le contrôler et de le neutraliser.
I’m Your Man explore avec finesse et une fantaisie maitrisée les interrogations éthiques, politiques et philosophiques que soulève le formidable développement de l’IA.
BONUS
Quels autres titres donneriez-vous au film ?
Le titre original du film estIch bin dein Mensch (« Je suis ton être humain », « Je suis ta personne humaine ») et non pas dein Mann (ton homme). Le titre allemand suggère un robot qui n’est ni masculin, ni féminin.
Le titre anglais, I’m Your Man signifie « Je suis ton homme ». Ce glissement dans la traduction du titre a peut-être été influencé par le titre d’une chanson de Leonard Cohen, I’m Your Man, où il chante : « If you want a lover, I’ll do anything you ask me to ». « Si tu veux un amant, je ferai tout ce que tu me demanderas. » C’est exactement ce que fait Tom :
La traduction anglaise n’est pas si mauvaise, car le film souligne la dimension sexuée du rapport humain à un robot. Tom est bien un être masculin. Le collègue d’Alma, plus âgé, a fait l’expérience d’héberger un robot féminin. Il est très heureux d’avoir trouvé « chaussure à son pied » en la personne d’une jeune femme qui a une voix particulièrement artificielle, mais qui le regarde avec une admiration béate.
Le titre québécois, L’Homme idéal, est en adéquation avec le fim. Autres suggestions : « Certains l’aiment robot ». « Robot pour être vrai ».
CONCLUSION
La réalisatrice Maria Schrader propose avec I’m Your Man une fable philosophique et ludique sur la quête de l’amour parfait et la spécificité de la personne humaine. L’originalité du film est de nous entraîner dans un futur qui n’est pas si lointain, où les questions qui se posent percutent notre réalité : un compagnon idéal programmé pour répondre à tous les désirs peut-il réellement briser la solitude ? La perfection est-elle ce que nous recherchons chez les êtres humains ? Dans un monde guidé par des algorithmes, comment se dessinent nos choix ? Quelles interrogations éthiques et philosophiques le développement de l’IA suscite-t-elle ? Avec humour et justesse, cette comédie romantique futuriste nous invite à réfléchir sur ce qui fait l’humanité d’une personne.
Anne-Cécile Antoni