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Le Fils

Entre vengeance et pardon

Fiche Technique:

Réalisation : Jean-Pierre et Luc Dardenne ; Scénario : Jean-Pierre et Luc Dardenne
Distribution : Olivier Gourmet (Olivier), Morgan Marinne (Francis), Isabella Soupart (l’ex-épouse d’ Olivier)
Récompenses : Prix d’interprétation masculine pour Olivier Gourmet au Festival de Cannes 2002, Meilleur film francophone aux Prix Lumière 2003
Genre : Drame ; Durée : 103min ; Sortie en salles le 23 octobre 2002

Olivier est menuisier et formateur dans un centre d’apprentissage et de réinsertion. Lorsqu’on lui présente le curriculum vitae d’un futur élève Francis, il refuse de le prendre, estimant que le travail du bois ne lui conviendra pas et qu’il a trop d’apprentis. Francis est alors placé dans l’atelier de soudure. Mais Olivier n’est pas satisfait de sa décision. Il va donc suivre ce jeune garçon dans les couloirs du centre d’apprentissage dans les rues de la ville, jusqu’à son domicile. Son ex épouse lui annonce qu’elle est enceinte et qu’elle va se remarier. C’est à ce moment- là, car se sentant encore plus seul face à cette nouvelle, qu’Olivier décide de prendre Francis en apprentissage. Quand il annonce cette nouvelle à son ex-femme, celle-ci s’évanouit. « C’est lui ? » demande à Olivier son ex-femme qui, d’indignation, en pique une crise de nerf lorsque Olivier lui répond affirmativement. « Calme-toi », lui dit-il en l’étreignant. « Pourquoi fais-tu ça ? » « Je ne sais pas » répond Olivier L’apprenti semble lié au destin de ce couple et Oliver sait quel acte a commis Francis. Trois temps rythment le film: un avant le fils, un pendant le fils et un après le fils : vers le pardon. Plus que d’un fils, il sera question d’un père dans ce film.

Avant le fils, il y a le père. Le père c’est Olivier, menuisier dans un centre de réinsertion pour jeunes délinquants, divorcé, meurtri et vivant seul depuis la mort de son fils. Olivier est un solitaire, homme brisé par un destin brutal, enfermé dans ses habitudes. Les frères Dardenne filment de façon remarquable cet homme et son isolement : à bras le corps, par le biais d’une mini caméra permettant de suivre le personnage dans un parcours représenté par les couloirs du centre d’apprentissage. Par cette manière de manier la caméra, les deux cinéastes pénètrent la souffrance d’Olivier. La caméra à l’épaule permet d’incarner l’agitation mentale d’Olivier, elle consiste en une image constamment en mouvement. Cette manière de filmer place le spectateur du côté du personnage du film ; ici le spectateur est en situation d’interrogation, dans un balancement entre empathie et crainte, mais jamais à la place du personnage central du film. N’est-ce la position du spectateur la plus juste, la plus éthique, celle qui le laisse libre de son jugement ?

Le fils : c’est l’enfant d’Oliver mort tragiquement, mais c’est aussi Francis qui apparaît comme un être à part, marqué par un passé très lourd à porter. En effet il a connu la maison de correction suite un accident qu’il ne cherche pas à nier ou à oublier. Francis a tué. Il a pris la vie d’un autre enfant, l’enfant d’Olivier. Ce sont des allusions, des réflexions d’Olivier qui feront tout au long du film le lien entre le passé : la mort du fils et le présent : les relations entre Olivier et son apprenti. Olivier et Francis savent ce qui les relie au jeune garçon mort. Depuis Francis n’attend plus rien de sa vie. Il est seul depuis ce drame et il sait qu’il a « payé sa dette ». Francis constitue le cœur du film, le pivot autour duquel la vie d’Olivier va graviter ; ces deux personnages magnifiques et bouleversants sont des énigmes. Olivier aide Francis dans son apprentissage, mais il met de la distance entre lui et son apprenti. C’est à travers le travail que se tissent les relations entre ces deux personnages. Le travail est un thème omniprésent dans la filmographie des Dardenne. Répondant à un besoin anthropologique, les deux frères considèrent le travail comme lieu du rapport avec le réel et les autres. Être sans travail, c’est être condamné à la solitude, à l’inutilité. Dans les films des frères Dardenne c’est souvent à travers les gestes du travail que font les personnages que leurs rapports se construisent. Ici c’est   l’apprentissage de ces gestes qui fonde le rapport social entre Olivier et son apprenti. C’est là l’unique intérêt de leur relation. Le travail permet à Olivier de s’épanouir et de trouver un sens à sa vie

Après Le Fils, il y a le pardon. A la fin du film, on est en droit de se demander si Olivier a vraiment pardonner à Francis. Dans un des entretiens que les frères Dardenne ont donné pour ce film, ils disent que pour qu’Olivier pardonne à Francis, il faudrait que celui-ci demande ce pardon. Mais Francis emmuré dans son silence, estimant qu’il n’a pas le droit d’avoir une vie sociale, est-il capable de demander pardon à Olivier ? Le fils nous fait voir le dilemme qui anime un père qui fait preuve d’une forte résistance, tiraillé entre le pardon et son désir de vengeance. En effet, entre le désir de vengeance et le besoin d’être libéré du deuil, Olivier devra être amené à faire un choix pour atteindre une libération rédemptrice pour avancer dans la vie. Les Dardenne s’inspirent fortement des écrits d’ Hannah Arendt sur la notion de promesse et de pardon. On pourrait augurer qu’Olivier ne semble pas capable de pardonner à l’assassin de son fils mais il tente néanmoins de lui offrir son salut en lui inculquant l’expérience du métier du bois, ce qui permettra également à Olivier d’être sur le chemin de sa rédemption. C’est cette relation particulière s’inscrivant dans un rapport d’initiation maître/apprenti qui participe au salut des deux personnages. Nous pouvons aussi nous demander si Olivier, en allant au bout du voyage en compagnie du jeune garçon, a retrouvé quelque chose, la possibilité non pas d’aimer un autre enfant que le sien, mais de lui apporter l’aide que celui-ci réclame silencieusement. Une fois de plus, à travers leur cinéma social, ce très beau film des frères Dardenne montre des dilemmes cornéliens. Le questionnement central du film est de plus accompagné d’une âpreté, d’une sécheresse et d’une rigueur de mise en scène avec très peu de musique. Le Fils  passionne par son dilemme existentiel, et laisse le spectateur bouleversé par un récit à la force mémorable.

Pistes pédagogiques :

– Analyser les relations entre Olivier et Francis à travers gestes et paroles.  – Une attraction répulsion de l’autre se noue entre Francis et Olivier l’une lors d’une séance de baby-foot et l’autre sur un parking. Que nous apprennent ces deux scènes? – Hannah Arendt évoque dans ses écrits la notion de promesse et de pardon. Les Dardenne s’en inspirent: la promesse de se venger qui n’est jamais dit explicitement et le pardon accordé au jeune garçon. Comment est-ce analysé dans le film ? – A propos du film que penser de la phrase de Derrida : il faut pardonner l’impardonnable. – Montrer qu’Olivier Gourmet qui joue le rôle du père convoque les thèmes de la vie, de la mort, de la vengeance, du pardon et de la rédemption.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr