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Dieu existe, son nom est Petrunya

Film : Dieu existe, son nom est Petrunya

Une figure christique

Fiche technique

Nationalité : Macédoine du nord/ Belgique / Slovénie / France/Croatie

Réalisatrice : Teona Strugar Mitevska

Scénario : Elma Tataragic et Teona Strugar Mitevska

Distibution : Zorica Nusheva, Labina Mitevska, Stefan Vujisic, Simeon Moni Damevski, Suad Begovski

Durée : 1h40

Date de sortie : 1er mai 2019

Genre : Drame, comédie

Récompenses : Prix du jury œcuménique de la Berlinale 2019 ; Prix Lux du Parlement européen.

INTRODUCTION 

Le film est inspiré d’un évènement qui s’est produit en 2014 en Macédoine du Nord. Dans les communautés orthodoxes de l’Est de l’Europe (Bulgarie, Russie, Roumanie, Serbie, Macédoine…), le 19 janvier, jour de la fête de la Théophanie (l’équivalent de l’Épiphanie), se déroule la bénédiction de l’eau, au bord d’une rivière ou d’un lac, qui rappellent le Jourdain. Ensuite, le prêtre jette une croix dans l’eau et des hommes se précipitent dans l’eau pour l’attraper. Celui qui réussit à s’en emparer aura une année remplie de bonheur et de prospérité. On appelle cette coutume les « bains de la Théophanie ». Elle symbolise le baptême de Jésus dans le Jourdain, le début de sa vie publique et l’acceptation de sa mission.

En 2014, dans un village macédonien non loin de Stip, une jeune femme s’est lancée dans la course à la croix. Et elle l’a attrapée, ce qui a fait scandale.

LA MACÉDOINE DU NORD

Ce pays d’Europe du Sud est situé dans la partie centrale de la péninsule des Balkans. Elle partage des frontières avec la Grèce, la Bulgarie, la Serbie et l’Albanie.

La Macédoine du Nord faisait partie de la république fédérative socialiste de Yougoslavie. Elle a déclaré son indépendance en 1991. Elle a été rebaptisée « république de Macédoine du Nord » à la suite d’un accord avec la Grèce. Sa population s’élevait à deux millions d’habitants en 2021(Source : Banque mondiale). Sa capitale est Skopje. Le pays a deux langues officielles, le macédonien et l’albanais. Le macédonien est une langue slave qui s’écrit en caractères cyrilliques, que vous apercevrez dans le film. Le pays compte 2/3 de chrétiens orthodoxes et 1/3 de musulmans.

ANALYSE

Comment qualifieriez- vous le titre du film ?

Pompeux ? Faussement pompeux ? Intrigant ? Comique ? Accrocheur ? Provocateur ? Transgressif ? Il postule que Dieu est une femme, et qu’il a un prénom. Dans une interview, la réalisatrice explique qu’elle a contacté l’église de Stip avant le tournage du film. Le responsable de cette église a refusé toute collaboration, en ajoutant que « Dieu existe, et c’est un homme. Il s’appelle Jésus ».

Un verset d’Isaïe 49, 15 une piste de lecture ? « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas. ». Il suggère que Dieu peut assumer à la fois le rôle de père et de mère, qu’il est homme et femme. Pour changer le monde, faudrait-il reprendre toute l’histoire de la Création et faire de Dieu une femme ?

Sur combien de temps s’étalent les évènements du film ?

Le récit tient en un jour et une nuit, entre le réveil de Petrunya le matin et la fin de la nuit où elle peut enfin quitter le poste de police, 24 heures dans la vie d’une femme, cf la nouvelle de Stefan Zweig.

1ère image ? La jeune fille est debout, au centre d’une piscine vide. Elle se tient sur une des bandes qui délimitent les couloirs de natation, puis la caméra zoome sur Petrunya, le tout sur fond de musique métal.

L’image est énigmatique mais recèle des sens possibles : 1. Elle annonce qu’un évènement va se produire en rapport avec l’eau. 2. Immobile sur l’une des bandes noires d’un couloir, elle n’a pas envie d’avancer dans la voie que la société lui enjoint d’emprunter.

1ère scène ? un paysage de plateau avec un champ fauché. Une procession arrive par la droite.

Dernière scène ? P. repart sur une route sinueuse dans la neige : elle va continuer de tracer elle-même son chemin.

Dernière image ? Une biche ou un faon. On peut imaginer que cet animal doux, en liberté, représente Petrunya. Dans un plan du film, on aperçoit un tableau suspendu dans le salon de ses parents, un tableau représente des chasseurs à la poursuite d’un cerf.

Quel est le point commun entre le premier et le dernier plan du film ?

P. est seule, au milieu du cadre.

Si vous deviez diviser le film en deux actes, à partir de quel évènement situeriez-vous le deuxième acte ?

1ère partie : jusqu’à l’entrée de P. au commissariat.

2ème partie : ce qui se passe au commissariat. : un huis clos entrecoupé de quelques sorties.

  1. LES PERSONNAGES FÉMININS

La réalisatrice se concentre sur eux. Quels sont les principaux personnages de femme ?

Petrunya l’héroïne, Vaska sa mère, Slavica la journaliste, Blagica l’amie de Petrunya.

Petrunya

Que pensez-vous de l’actrice qui l’incarne ?

La réalisatrice a trouvé une actrice issue du théâtre comique de Skopje, Zorica Nusheva, qui habite avec beaucoup de charisme ce personnage de femme opulente. Elle dégage une force tranquille. La comédienne est en symbiose avec ce rôle très physique et peu flatteur.

Son nom de famille ? Eftimovska

Comment traduire Petrunya en français ?

Pétronille, une sainte morte à Rome à la fin du Ier siècle, selon la légende. C’est un personnage vénéré comme vierge et martyre par l’Église catholique. Elle n’est pas très connue en France. Elle est pourtant sainte patronne de la France depuis le XVe siècle. Elle est honorée chaque année par une messe spéciale pour la France, célébrée chaque 31 mai à la basilique Saint-Pierre de Rome.

P. raconte au début la vie de la sainte à son amie Blagica ? Pourquoi ?

Il y a une certaine proximité entre la vie de la sainte et la sienne : ni l’une, ni l’autre jeune fille n’ont la vie facile ; elles sont l’une comme l’autre soumises à la volonté de leur père ou de leur mère.

Qui est Petrunya au début du film ? Comment la dépeindriez-vous ?

Elle est apathique et n’a aucun rêve. « La vie n’est pas un conte de fées », dit-elle. Elle traîne son existence morose comme une fatalité. Son quotidien est déprimant. Elle pourrait ressembler au personnage de Tanguy dans le film d’Étienne Chatiliez. Elle a 32 ans et vit chez ses parents, dans sa chambre d’enfant. Sa mère lui apporte son petit déjeuner au lit. Ce n’est pas qu’elle soit paresseuse, mais elle n’a d’autre choix que de vivre sous leur toit : il n’y a pas de travail pour une diplômée en histoire de l’université de Skopje.

Quand se sent-elle libre ?

Son plaisir serait, comme elle le dit explicitement dans l’une des premières scènes, de se débarrasser de tout vêtement pour vivre nue. « Je me sens libre quand je suis nue ». Dans une scène où on la voit nue avec la croix sur sa poitrine, on la sent épanouie.

Le chômage est-il le seul problème de P. ?

Elle a un rapport difficile à son corps. Trop grande, trop lourde, trop imposante, elle ne correspond pas aux canons habituels de la beauté.

Petrunya se promène, pour toute compagnie, avec la tête et le tronc d’un mannequin masculin nu, qu’elle a embarqué en sortant de l’usine. Qu’arrive-t-il au mannequin ? Quel sens donneriez-vous à cette scène ?

Le mannequin est lâché dans la rivière. Il est charrié par le flux et dérive au fil de l’eau. P. se débarrasse symboliquement du genre masculin. On peut remarquer que le 1er mannequin, dans la boutique de son amie Blagica, était constitué d’une tête d’homme et d’un corps de femme.

Pensez-vous que P. aurait sauté dans l’eau si elle avait obtenu un travail à l’atelier de couture ?

Pourquoi P. plonge-t-elle dans la rivière ?

NB : La réalisatrice ne veut surtout pas que l’on cherche des explications à cet acte.

– Le désœuvrement ? La rage, qui la pousse à la transgression ?

– Le sentiment de ne rien avoir à perdre : le directeur lui dit qu’elle ne sera bonne à rien, sa mère est insupportable. Elle n’a aucun avenir.

– Y voit-elle la possibilité de s’attirer un peu de bonheur et de prospérité ?

Elle se confie à l’agent de police Darko : « Je ne cherchais pas à provoquer. » Elle ne sait pas pourquoi elle a attrapé la croix. Il n’y a rien de prémédité dans son acte. « J’ai sauté sans réfléchir comme un animal. »

« Je me sens comme un animal ». Comment l’interpréter ? (cf les propos de sa mère qui lui dit « Espèce d’animal . »)

Deux lectures parmi d’autres : elle est une héroïne par instinct et non par conviction ; elle ne se sent pas respectée comme être humain, sauf par le jeune policier Darko.

Que signifie l’histoire du loup et du mouton ?

P., qui était comme un mouton, s’est transformée en loup. Elle se découvre louve plutôt que brebis, jusqu’à ce qu’on la laisse partir.

Comment le personnage de P. évolue-t-il ?

Son acte lui vaut l’opprobre général.Elle doit faire face à un front aussi divers dans sa composition qu’uni dans son désir de préserver le patriarcat : les jeunes gens certains que la compétition est réservée aux mâles, le prêtre obligé de trouver les arguments théologiques qui justifieraient une pareille discrimination, le commissaire de police qui voit bien que l’ordre a été troublé, la mère de Petrunya qui préférerait que sa fille fasse des efforts de présentation. En résistant aux multiples attaques et tentatives d’intimidation, la porteuse de croix relève peu à peu la tête : les heures d’attente destinées à briser la volonté, les interrogatoires parfois violents, le fait d’être « livrée » aux jeunes gens furieux, l’attaque de ces jeunes gens, l’agression par leur leader. Elle a désormais un but, un horizon. Celui de lutter, résister, s’exprimer et exister en tant que personne. La croix à laquelle elle s’accroche, comme si sa vie en dépendait, devient la cause de son ostracisation.

Elle prend peu à peu conscience de la portée symbolique de son acte. Elle devient une héroïne malgré elle. Elle sort de son mutisme et de son apparente indifférence. P. a réussi quelque chose dans sa vie. Elle n’est soutenue que par son père, par le jeune policier, Darko qui l’admire : « Tu es une championne. Tu es super.»et par le succès de la vidéo de son exploit, postée sur YouTube.

Pourquoi donne-t-elle la croix au prêtre ?

Elle a tenu tête à tous, elle a gagné : elle peut garder la croix. Elle est souriante, épanouie. Parce que son bon droit est reconnu et qu’elle se sent libre, elle peut avec magnanimité donner la croix au prêtre : « Tu en as besoin. Ils en ont besoin ». Elle accepte que sa mère ne puisse pas la comprendre.

Qu’auriez-vous fait à la place de P. ? Auriez-vous gardé la croix ?

Ses qualités ?

– Honnête : elle ne triche pas sur son âge lors de l’entretien d’embauche.

– Courageuse : elle a le courage physique de sauter dans l’eau glacée.

– Tenace, forte, armée d’une détermination silencieuse : elle ne lâche rien pendant l’interrogatoire de police

– Intelligente et lucide : sa culture et son intelligence, laissées en jachère, reprennent du service et lui permettent de garder la tête haute face au commissaire ou au prêtre.

P. est une femme audacieuse qui décide de refuser la soumission qu’imposent la pression familiale et les normes sociales et religieuses.

Slavica, la journaliste. Comment la décririez-vous ?

Elle est ambitieuse, combative, engagée. Incarnée par la sœur de la réalisatrice, ce personnage offre un contrepoint dynamique et volontaire au personnage de P. et élargit la vision de la situation des femmes en Macédoine.

Qu’apprend-on sur sa situation familiale et professionnelle ?

On apprend par une conversation téléphonique qu’elle a une fille, mais que le père « oublie » d’aller chercher l’enfant, alors que la mère est en mission. Le cameraman gagne autant qu’elle, alors qu’elle est plus qualifiée. Elle est bridée par des chefs qui l’empêchent de faire ce que bon lui semble : elle ne reçoit aucun soutien de sa direction qui finit par lui enlever son cameraman. Elle jongle avec son travail et sa famille et fait face aux inégalités femmes/hommes. Elle n’en a pourtant pas fini avec la division des rôles au sein du couple ni avec la discrimination salariale.

Que pensez-vous de sa pratique du journalisme ?

Elle a une conception bien à elle de la déontologie des journalistes. Elle croit tenir le scoop de l’année. Elle a une tactique de harcèlement vis-à-vis de Petrunya. Ses questions vis-à-vis de ses parents sont intrusives. Citadine, elle est méprisante pour les villageois, qui sont « des ploucs ». « On est au 21ème siècle et on vit comme au Moyen Âge ». Elle est effarée de l’obscurantisme des habitants de cette bourgade, « éternellement cimentée dans l’obscurité du Moyen Âge » dit-elle.

Est-ce qu’elle instrumentalise cette histoire pour en faire une cause ?

Elle voit plutôt dans l’affaire de la croix l’occasion de traiter un vrai sujet de société.Elle donne la parole à un habitant qui défend la jeune femme et pose la question « Qu’est-ce qu’ils auraient fait si Dieu était une femme ? », une phrase que reprend Slavica. Alors que les motivations de P. sont insondables et son visage impassible, la journaliste cherche à la transformer en figure de la lutte pour l’émancipation féminine.

La mère, Vaska. Ce personnage est-il nuancé ?

Elle est envahissante, étouffante, voire odieuse : « Tu es un monstre, un monstre ingrat. »  « Espèce d’ordure. Espèce d’animal. ». Elle arrache les cheveux de sa fille.

Elle raconte à sa fille que cette dernière a gagné un concours de chant à l’âge de 7 ans, parce qu’elle a soudoyé le jury : elle enlève à sa fille toutes ses illusions.

On ne voit manifester l’affection de la mère envers sa fille qu’à un seul moment du film.

Les rapports mère-fille sont bien caractérisés dans une scène où elles sont de profil et où elles se tournent le dos.

La mère encourage la soumission au désir masculin. Elle insiste pour que sa fille corresponde le plus possible aux attentes des hommes : être coquette, mentir sur son âge.

Elle est enserrée dans une combinaison de préceptes religieux et de préjugés sociaux. Elle se veut garante des traditions qui reproduisent un modèle dépassé.

Au-delà des relations difficiles entre P. et sa mère, que symbolisent leurs rapports ?

Il symbolise le rapport entre modernité et tradition. Les deux femmes sont à l’opposé l’une de l’autre sur cette question ; leur confrontation est inévitable et nécessaire pour que le progrès s’impose. La violence de leur relation découle d’une chose plus profonde : l’injustice déguisée en tradition. « J’ignore comment trouver le bon équilibre entre tradition et modernité. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt de savoir comment amender la tradition, pour qu’elle puisse par exemple inclure le deuxième sexe, dans un esprit d’égalité. » (Entretien avec la réalisatrice dans le dossier de presse du film).

Qui est le quatrième personnage féminin ?

Ce personnage n’est qu’esquissé. C’est Blagica, la meilleure amie de P., qui lui prête une robe. Elle est vendeuse dans une boutique assez misérable qui appartient à son amant, un homme marié, dont elle ne peut pas espérer un engagement à long terme. Elle manifeste un certain cynisme tout en étant sentimentale.

Blagica et la mère de Petrunya ne sont peut-être pas conscientes de la domination masculine ou l’ont mentalement intégrée. Elles agissent comme si elles ne pouvaient pas lutter.

P. est-elle féministe ?

Petrunya, au début du film, se signale par sa modestie et sa timidité. Elle ne se soucie pas des droits des femmes ni de ses propres droits. Mais quand le prétendu scandale éclate, quand ce fait anodin devient une affaire d’État et qu’elle est confrontée au machisme de la société, elle se décide à se battre pour ce qu’elle croit juste. Elle évolue avec les évènements et devient la femme la plus forte du film, qui n’est plus la demandeuse d’emploi humiliée du début. Elle ne se fait pas pour autant l’étendard de la cause féministe, en lutte contre le patriarcat. Elle refuse jusqu’au bout de se faire instrumentaliser. Petrunya et Slavica ne se battent pas sur le même terrain. Si à la fin du film, Petrunya a gagné en assurance, elle semble pourtant hésitante à poursuivre une quelconque révolution, et encore moins à se prendre pour Dieu.

Diriez-vous que ce film est féministe ou qu’il illustre plutôt la quête de justice ?

La réalisatrice sert la cause des femmes. Mais elle dénonce la domination masculine sans révolte, avec une douceur et une ironie toutes slaves. À la fin du film, surgit une succession de plans fixes sur des femmes : Petrunya, sa mère, Blagica, la journaliste, une anonyme qui fume une cigarette. Ce défilé de portraits peut être vu comme un hommage rendu aux femmes.

On entend P. demander au prêtre : « Et moi, je n’ai pas droit au bien-être ? ». On peut aussi traduire : « Pourquoi n’aurais-je pas le droit à une année de chance ? » La question est de savoir si les femmes ont droit à la prospérité et au bonheur, comme les hommes, puisque c’est la promesse accordée à celui qui possédera la croix.

Au début, P. est quasiment une anti-héroïne », dit la réalisatrice. « On pense qu’elle n’est bonne à rien, et puis elle prend confiance en elle et trouve sa raison d’être. Être capable de dire : « J’ai le droit de faire cela ». Il s’agit d’un film féministe, mais tout le monde peut s’identifier à P. dans sa quête de justice. » « Il s’agit de l’histoire d’une jeune femme qui défie les règles pour chercher la justice et trouver sa propre place dans la société ». C’est ce besoin de justice qui donne à P. la force de se dépasser et de devenir qui elle est vraiment : une femme à part entière et un moteur de changement. C’est à la fois un film féministe et une histoire sur l’estime et la réalisation de soi.

  1. LES PERSONNAGES MASCULINS.

Pouvez-vous les citer ?

  • Le directeur d’usine. Il signale à P. à quel point elle est incompétente, sans avenir et sans aucun attrait. « Tu es moche. Tu fais 42 ans. ». Il est cruel et lubrique. Lors de l’entretien d’embauche, il se permet des gestes déplacés et humilie P. Son bureau vitré est au centre de l’atelier, ce qui lui permet de surveiller les ouvrières qui travaillent autour de lui.
  • Le cameraman
  • Le prêtre, le Père Kosta. Il se montre lâche. Il n’a pas le courage de répéter : « Une foule stupide n’a pas d’opinion ».
  • Le groupe de jeunes hommes, tournés en ridicule
  • Le commissaire de police
  • L’agent Darko, qui regrette de travailler avec des collègues aussi bas de plafond. Il agit avec humanité, cherche une couverture pour P. et lui donne sa veste. Une idylle s’esquisse entre P. et lui.
  • L’enquêteur de police qui use de méthodes brutales : menaces, crachats.
  • Le père de P., seul à soutenir sa fille, plus sympathique mais falot. C’est un nostalgique de l’ère communiste.
  • Le procureur, qui donne raison à P.

Sont-ils bien caractérisés ou seulement ébauchés ?

Ils sont seulement ébauchés.

Avez-vous remarqué deux scènes où le comportement du patron de l’usine et celui du policier sont identiques ?

Tous deux s’approchent du visage de P. en le frôlant. Tous les deux ont de mauvaises intentions. Le premier frôle son visage par la droite pour faire mine de l’embrasser, le second par la gauche pour la menacer. Ces deux scènes sont parallèles. En contrepoint intervient la scène où les visages de Darko et de P. sont séparés par une vitre : Darko est un homme qui respecte P.

Y a-t-il d’autres évocations du patriarcat dans le film ?

Le groupe de jeunes hommes montre un comportement particulièrement primaire et machiste.

Le prêtre : à son actif, il défend P. lorsqu’elle attrape la croix, puis il est débordé par le groupe de jeunes gens. Au commissariat, il refuse de mentir. Il s’arcboute sur la tradition, mais sent bien qu’une injustice est commise en son nom. Il essaie d’amadouer P. et de la culpabiliser. Il essaye de l’acheter : « L’Église peut te marier gratuitement ».

Le film est une incursion au cœur du machisme ordinaire. « Si en s’en tient à la tradition, on n’avancera jamais », dit un personnage

  1. UNE CRITIQUE DES POUVOIRS ET DE LA SOCIÉTÉ 

La compétition n’étant pas ouverte aux filles, la victoire de P. perturbe l’ordre social.

  1. Le quatrième pouvoir : la presse. Est-il indirectement critiqué ?

Le film contient une critique voilée des journalistes. Les méthodes de Slavica sont assez agressives. Elle assiège quasiment le poste de police. Les questions qu’elle adresse aux parents de P. sont indiscrètes : « Êtes-vous croyants ? P. a-t-elle un amoureux ? ». Alors que la mère de P. vient de rectifier le nom de la famille, mal cité par la journaliste, Slavica n’y prête pas attention et persiste se dans son erreur sur le patronyme : « Eftimovi » au lieu de « Eftimovski ». Quant au cameraman, il se livre pendant son temps de travail à des paris sur les matches de foot. Certains journalistes macédoniens s’en sont pris au traitement qui leur était réservé dans le film.

  1. La police. Son portait est-il flatteur ?

Ses méthodes sont contestables. Elle refuse de signifier à P. quel est son statut. « Suis-je en garde à vue ? » demande-t-elle, sans obtenir de réponse.

Un des policiers se comporte très mal. Il menace P., l’intimide et crache sur elle. Les policiers sont tiraillés entre des exigences contradictoires : inventer un motif pour inculper P., la protéger de la populace, étouffer le scandale.

Un mur du commissariat a pour décor une forêt tropicale luxuriante. L’effet de contraste par rapport aux éclairages au néon et aux murs blafards ne manque pas de cocasserie.

  1. L’Église. Est-ce que l’institution de l’Église « en prend pour son grade » ?

Son représentant, le Père Kosta, est lâche. On se rend compte que l’institution fonctionne de façon verticale : on entend le Père prendre ses ordres au téléphone auprès du patriarche. Dans un dialogue entre le commissaire et le prêtre, on comprend que la loi de Dieu ne coïncide pas avec la loi des hommes. Mais, paradoxalement, l’Église a besoin du concours des autorités civiles pour faire appliquer la loi de la tradition.

Quelle confusion des règles le film montre-t-il ?

La confusion des règles religieuses et civiles et la collusion des autorités est illustrée par des dialogues piquants au commissariat : « Qu’est-ce que je vais dire au prêtre maintenant ? dit le commissaire. Il finit par donner des ordres au prêtre et le menacer : « C’est ta tête qui est en jeu. » La connivence entre le chef de la police et le prêtre est claire : ils s’appellent par leur prénom et trinquent ensemble. Ces deux pouvoirs sont unis par un même objectif : ramener l’ordre et le calme et asseoir leur autorité. Mais ils sont face à un acte inédit, qui les désarçonne.

Une question de P. au prêtre est tout à fait signifiante : « Je parle à la police ou je suis à l’église ? » ? Quelle loi a-t-elle enfreinte ? La loi des hommes ou la loi divine ? Si c’est la première, pourquoi le prêtre est-il là, à essayer de l’amadouer ? Et si c’est la seconde, pourquoi est-elle retenue au poste de police ? La situation est absurde.

Comment vous apparaît cette tradition du lancer de la croix ?

Elle a une dimension hybride, voire contrastée. D’un côté, les prêtres mettent en œuvre un rite religieux, à travers la procession, les croix, les chants et les prières ; de l’autre, cette manifestation présente un aspect folklorique avec les jeunes gens en maillot pressés de se jeter à l’eau. Ils ne montrent pas beaucoup de respect vis-à-vis de la procession et interpellent le prêtre avec irrévérence. La coutume a aussi un aspect superstitieux, la croix étant censée apporter la prospérité.

Pour autant, la réalisatrice tourne-t-elle en dérision la religion orthodoxe ? Non, jamais.

  1. L’état du pays : quels sont les aspects de la société macédonienne que la réalisatrice dénonce au passage ?

– Le chômage des jeunes diplômés

– La faiblesse des salaires : le cameraman tente d’arrondir ses fins de mois en pariant sur des matchs de foot. Un homme, interviewé sur l’affaire de la croix, répond qu’il vaudrait mieux s’intéresser aux politiques incapables de venir en aide aux gens qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts

– Le niveau insuffisant de la démocratie : P. remarque : « Aujourd’hui, on aspire à la démocratie. » On apprend aussi qu’elle a préféré étudier « La révolution chinoise dans la perspective de l’intégration du communisme dans des structures démocratiques » plutôt que la vie d’Alexandre le Grand, roi de Macédoine. La jeune femme manifeste ainsi son attachement au présent de la démocratie et aux valeurs d’égalité et de justice.

-La corruption : la mère de P. a soudoyé un jury.

-Le « chaos », aux dires d’un des villageois (l’expression d’une opinion d’extrême-droite ?)

  1. . VOYEZ-VOUS DES PARALLÈLES ENTRE L’HISTOIRE DE PETRUNYA ET LA PASSION DU CHRIST ?

P. commence par transgresser les règles, comme Jésus a transgressé les interdits religieux au long de sa vie.

Petrunya vit un véritable chemin de croix :

  • P. est emmenée au commissariat sans en connaître le motif. Cf l’arrestation de Jésus.
  • P., interrogée, ne répond pas ou renvoie la question vers son interlocuteur, le commissaire ou le pope. Le silence de la jeune femme et ses questions légitimes les déroutent. Cf l’interrogatoire de Jésus.
  • Le procès religieux, avec le prêtre, suivi d’un procès politique avec un procureur qui s’en lave les mains et ne la condamne pas.
  • La haine de la foule à laquelle elle est livrée. Cette foule en colère crie et veut la lyncher.
  • Les crachats au visage, les insultes, les menaces qu’elle subit.
  • Le jeune policier, chargé de sa surveillance et fasciné par son courage, fait pense au bon larron.

P. dit à sa mère : « Tu ne comprends pas, mais je te pardonne ». Cf Jésus :« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. ».

C’est une accusée dont l’humanité fait honte aux auteurs de l’injustice dont elle est victime. Petrunya est une figure christique.

Que remarquez-vous à propos des cadrages et des plans ?

– Les cadrages sont très bas ou trop hauts.

– Aucun plan n’est banal. Certains plans sont allégoriques, comme celui où l’héroïne attend son interrogatoire, assise dans l’entrée, les grilles à moitié fermées symbolisant sa situation de contrainte.

– Le plan où elle est assise sur fond de décor de jungle peut se lire de façon ambivalente : soit P. est une créature sortie de la jungle qui représente un danger, soit elle est captive de la « jungle » que constitue l’enchevêtrement des règles religieuses, sociales et familiales.

– Il y a plusieurs gros plans sur les visages, ce qui permet de lire directement les émotions des personnages.

– La caméra filme au cœur de la foule, ce qui donne au spectateur l’impression d’être au milieu de cette foule.

CONCLUSION :

  1. Le film est un beau portrait de femme, entre drame et satire, entre violence et délicatesse. C’est à la fois une comédie pleine de tendresse et une plongée décapante au sein d’une société patriarcale.
  1. Le film décrit un parcours d’émancipation qui ressemble aux âges de la vie. Petrunya apparaît au début du film comme une enfant boudeuse qui refuse de se lever. C’est ensuite une adolescente rebelle qui refuse d’obéir et remet la loi en question. C’est enfin une femme autonome, libérée par la police, au point qu’elle accepte sa mère telle qu’elle est et qu’elle rend la croix au prêtre en déclarant que lui et les autres en ont plus besoin qu’elle.
  1. Le film est un exemple de la capacité du cinéma à faire changer les choses. En janvier 2019, cinq ans après les faits qui ont inspiré le film, une autre femme a attrapé la croix à Zemun, en Serbie. On lui a fait une ovation. Une autre femme encore s’est jetée dans l’eau à Stip et a réussi à attraper la croix. Le prêtre l’a proclamée gagnante de la course et a béni la croix qu’elle lui apportait. La réalisatrice aura le dernier mot : « Le monde change vite, cela me remplit d’espoir ». « Je crois au rôle du cinéma pour précéder les progrès du temps, provoquer et interroger avec audace. »

Anne-Cécile Antoni

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