Le Fils de Joseph
Qu’est-ce qu’être père ?
Fiche technique :
Film franco-belge ; Scénario et réalisation : Eugène Greeen
Interprètes : Victor Ezenfis, Natacha Régnier, Mathieu Amalric, Fabrizio Rongione, Maria de Medeiros
Genre : parabole moderne ; Sortie : 2016 ; Durée : 1h55
Vincent, lycéen, vit à Paris avec sa mère, Marie, qui a décidé de l’élever seule. Elle refuse obstinément de lui dévoiler l’identité de son père. Mais le garçon s’entête et découvre que son géniteur est un éditeur cynique et égoïste prénommé Oscar. Alors que l’adolescent ourdit une vengeance contre lui, il tombe sur Joseph, le frère d’Oscar. Vincent et Joseph se découvrent des affinités. Ils tissent des liens en contemplant des tableaux au Louvre et en écoutant un concert dans une église. Le jeune homme finit par présenter Joseph à Marie. En cet homme bon, Vincent trouvera un père d’élection, qui changera sa vie et celle de sa mère.
Le rapport à la Bible est un marqueur des films d’Eugène Green. Le fils de Joseph est construit en cinq tableaux qui se réfèrent à des épisodes bibliques : le sacrifice d’Abraham, le veau d’or, le sacrifice d’Isaac, le charpentier, la fuite en Égypte. Tout en ancrant les relations entre les personnages dans ces textes fondateurs, le cinéaste en propose une réinterprétation contemporaine audacieuse.
Trois personnages en quête d’amour
Vincent, qui est d’abord le fils de Marie, incarne l’innocence blessée. C’est un adolescent introverti, sensible et droit. Plusieurs scènes soulignent l’étrangeté de son caractère et la profondeur de ses désirs. Vincent a le cœur tiraillé de souffrance, celle d’être privé de père. À Marie qui s’inquiète de lui, il répond brutalement qu’il lui manque l’amour : « Personne ne m’aime et je n’aime personne », affirme-t-il à celle qui l’aime plus que tout.
Marie a donné à la maternité le plus précieux d’elle-même. Elle représente la pureté maternelle. « J’ai préféré que tu existes ». dit-elle à Vincent. Elle a cédé au désir d’aimer un homme qui n’aurait pas fait un bon père et décidé d’élever son enfant sans lui. Mais elle exclut de révéler à Vincent qui est son père : « Je te réponds aujourd’hui comme toujours : tu n’as pas de père. ». Cette dénégation contraint Vincent à mener sa propre quête.
Joseph est une figure de la bonté. C’est un homme désargenté, honnête et généreux. À Vincent qui lui demande comment on fait pour être bon, Joseph répond : « Il faut écouter la voix de Dieu […] Il est en nous. Il nous dit d’aimer. »
Face à ces personnages libres, d’une simplicité habitée, Eugène Green place des caricatures : Oscar Pormenor, éditeur égoïste et séducteur diabolique, et Violette Tréfouille, critique littéraire snob et dépassée. Dans la séquence hilarante de la remise du prix « Conlong », le cinéaste croque cruellement le microcosme parisien de l’édition, où la mondanité le dispute à la fatuité.
Qu’est-ce que la paternité ?
Le thème majeur du film s’avère celui de la paternité, qui ne cesse d’être décliné sous des approches multiples : marchande -un jeune homme et son industrie du sperme-, cocasse -Oscar ne sait pas combien il a d’enfants-, allégorique -les tableaux du Caravage et de Georges de La Tour, -sociologique -qu’est-ce qu’un père aujourd’hui ? Vincent finit par se découvrir deux pères : un père biologique, qu’il estime indigne de lui, et un père symbolique, père élu et père spirituel, qu’il pense mériter et qu’il adopte. Vincent s’accorde la liberté de se choisir, en la personne de Joseph, un père aimable, qu’il offre à sa mère. Sur les chemins de traverse que l’adolescent emprunte, surgit la pureté d’un amour filial imprévu. Vincent a enfin appris à aimer et il est revenu à la vie : la dernière image du film s’attarde sur son visage heureux.
Serait-ce donc par son fils que l’on devient père ? Devant un tableau du Louvre, Saint Joseph charpentier, de Georges de La Tour, Vincent affirme que saint Joseph n’est pas le vrai père de Jésus. Joseph lui réplique qu’il l’est au contraire bel et bien, car la paternité lui a été donnée par le Fils. Mais entre Vincent et Joseph, la transmission n’est pas à sens unique : c’est un échange de connaissances qui circulent : tous deux se découvrent autant dans la joie du don que dans celle de la réception. Pour Eugène Green, la paternité passe aussi par la transmission de la beauté et de l’art, qui élèvent l’âme :« Je ne conçois pas autrement l’art. Il doit être vital, c’est-à-dire qu’il doit recouper la vie d’une façon ou d’une autre. », explique le réalisateur.
D’un monde à l’autre
Dans le cocktail excentrique de styles qui imprègne le film, on retrouve les ingrédients de l’univers cinématographique singulier de Green, orienté par une quête spirituelle : une langue française raffinée, une diction atone qui marque toutes les liaisons, un cadrage frontal des visages, des plans épurés, le goût de la satire, une passion pour la peinture et la musique des XVIIe et XVIIIe siècles.
Cette parabole moderne, insolente et insolite, qui s’ouvre et se clôt sur de somptueux airs baroques, commence dans une ville et se termine au bord de la mer. D’un monde de futilité, de bêtise et de violence qui prévaut au début du film, le film glisse vers un monde du dépouillement et de l’essentiel : les grands peintres, le chant et la poésie, la bonté, Dieu. Eugène Green explore les étranges chemins de la recherche de la beauté, de la foi et du don de soi. Sous des apparences intrigantes, Le fils de Joseph emporte le spectateur vers une épiphanie, née de la rencontre de trois êtres disposés à la grâce.
Pistes de réflexion
1. Que pensez-vous de la conception de la paternité développée dans ce film ?
2. Entre Vincent et Joseph, la transmission est-elle à sens unique ? Passe-t-elle seulement par la parole ?
3. Le film introduit des variations sur des figures paternelles de l’Ancien et du Nouveau Testament. Comment s’inscrit-il dans la Bible ? En quoi l’épisode du sacrifice d’Isaac -le père s’apprête à tuer son fils- est-il inversé ? Quel parallèle établir entre Joseph et saint Joseph ?
4. L’art baroque -peinture et musique- est omniprésent dans le film. Est-il purement décoratif ou remplit-il une fonction ?
5. La satire du monde littéraire parisien vous paraît-elle outrancière ? En quoi le film est-il une défense de la spiritualité de l’art contre la vulgarité de la fausse culture ?
Anne-Cécile Antoni