Séraphine
Peindre son âme
Fiche technique :
Film franco-belge ; Réalisation : Martin Provost ; Scénario : Marc Abdelnour et Martin Provost
Interprètes : Yolande Moreau, Ulrich Tukur, Anne Bennent
Durée : 2h05 ; Genre : film biographique ; Date de sortie :2008
Prix : Sept Césars du cinéma en 2009. Cinq récompenses au festival du film de Newport Beach (Californie).
Références : Séraphine. La vie rêvée de Séraphine de Senlis, de Françoise Cloarec, 2008. Le musée Maillol à Paris, le Centre Pompidou-Metz, les musées d’art naïf de Nice et de Laval, le LaM à Villeneuve-d’Ascq et le musée d’art de Senlis possèdent des tableaux de l’artiste.
Séraphine s’intéresse à la vie de l’artiste Séraphine Louis, née en 1864 et enterrée en 1942 dans une fosse commune. Connue sous le nom de peintre de Séraphine de Senlis, cette autodidacte a été classée dans le courant des Primitifs modernes. Grâce à ce film, le public a redécouvert l’incroyable itinéraire de cette créatrice.
Séraphine, devenue orpheline à sept ans, est domestique chez des religieuses et croit à la Sainte Vierge. Elle peint sans cesse et sans retenue, comme si sa vie en dépendait. L’huile nécessaire à la réalisation de ses tableaux est-elle trop chère ? Séraphine l’emprunte aux veilleuses de la cathédrale. En 1912, le marchand d’art allemand Wilhem Uhde s’installe à Senlis et l’emploie comme femme de ménage. Séraphine, qui se dit humiliée depuis toujours, refuse l’argent du collectionneur qui se propose de payer ses dettes : « On ne m’achète pas. ». Wilhem, invité chez des notables de la ville, découvre une toile peinte sur bois et apprend, stupéfait, que l’auteur en est Séraphine.« Vous êtes douée, mais il va falloir travailler beaucoup », lui dit Wilhem, qui la confirme dans sa vocation et devient son mécène. Une relation inattendue s’instaure alors entre l’artiste autodidacte et le collectionneur d’avant-garde qui va la tirer de l’anonymat. La Première guerre mondiale terminée, Wilhem revient en France et découvre à l’hôtel de ville de Senlis de nouvelles œuvres de la créatrice, plus abouties. Il garantit une pension à Séraphine, qui accède à une certaine prospérité financière. Mais les prémices de la gloire lui tournent la tête. Déjà se profile la folie de Séraphine, qui, dans une scène inoubliable, parcourt la ville pieds nus, en robe de mariée, déposant des pièces d’argenterie devant chaque porte. En 1932, elle est internée à l’asile. Elle y connaît la déchéance la plus totale, après avoir vécu les trois quarts de son existence dans le dénuement physique et psychologique. Wilhem, qui lui rend régulièrement visite, réalise qu’il ne peut rien pour elle. Du fait des dures conditions imposées aux asiles sous l’occupation allemande, elle meurt de faim en 1942.
Dans la scène finale, Séraphine imagine qu’elle sort de sa chambre et qu’elle s’assied sous un grand arbre protecteur, semblable à celui dans lequel elle avait grimpé au début du film.
La mystique et le mécène
Séraphine est une femme libre, madrée et travailleuse. Croyante et pratiquante à sa manière. Elle vit une communion mystique avec la nature, qui la réconforte lorsqu’ elle est abattue. Animée d’une ferveur sacrée, elle parcourt les bois à la recherche des pigments qui coloreront ses compositions. En peignant, elle chante le Veni Creator Spiritus, vieille hymne grégorienne, et le cantique Le voici l’Agneau si doux.
Wilhem Uhde (1874-1947) est le découvreur de Picasso, de Braque et du Douanier Rousseau. « Je ne collectionne pas pour vendre, je vends pour collectionner. », dit-il. Cultivé et attentif, il est prévenant envers sa domestique. Il défend le génie du cœur et de l’intuition, éloigné du talent de la raison et de l’intelligence. Il croit à l’âme. Il voit en Séraphine une visionnaire, en avance sur son temps. Allemand dans la France de l’avant et de l’après-guerre, homosexuel, il se trouve mal à l’aise dans la société de son temps.
Le monde de Séraphine
Dans son espace mental, Séraphine ne se sépare jamais de ses toiles. Elle y vit. L’art lui est plus essentiel que le pain qu’elle gagne durement. Sa peinture est l’expression d’un monde intérieur, chargé, selon Wilhem Uhde, de « confessions extatiques ». On retrouve dans ses toiles- L’arbre du paradis –son attachement à la nature et ses aspirations spirituelles. La lumière vient de derrière la toile. Après avoir peint sur des panneaux de bois, elle passe aux grands formats, avec des compositions complexes et foisonnantes, enrichies de plumes. Ses toiles figurent une végétation tropicale et paradisiaque, aux couleurs flamboyantes. Chaque feuille de ses bouquets est travaillée avec raffinement. Les œuvres tardives, plus tourmentées, annoncent le déclin et la folie.
La couleur bleue domine le film. Gros bleu des tabliers, des châles et de la blouse. Bleu des rideaux, des portes, et des papiers peints. Bleu du ciel et des azurs séraphiques. Martin Provost déploie dans ce biopic un art du portrait délicat et dénué de sensiblerie. L’actrice Yolande Moreau habite admirablement l’âme troublée de l’artiste, ses élans mystiques comme ses éclairs de cocasserie. La vitalité créatrice de Séraphine, avant que son destin ne bascule, irradie de bout en bout ce film épuré et ardent.
Pistes pédagogiques
Dans le film, le motif de l’eau symbolise la liberté : l’eau qui court, qu’on ne peut enfermer, l’eau de la rivière, celle des bassines, de la baignoire… En quoi Séraphine est-elle une femme libre, y compris lorsqu’elle est internée ?
Séraphine est indemne de toute culture artistique et possède pourtant une technique digne des plus grands peintres. Comment le mystère de la création artistique est-il suggéré dans le film ?
Séraphine est convaincue que le Ciel lui a soufflé sa vocation. Son besoin irrépressible de création en fait une artiste dévorée par la « nécessité intérieure » dont parle Kandinsky. Comment exprime-t-elle sa foi et ses aspirations spirituelles dans ses œuvres ?
« Moi, si je ne peins pas, je tombe malade, je meurs », aurait dit Picasso. Pour Séraphine, peindre est vital. L’art peut-il être un chemin de salut ?
Anne-Cécile Antoni